Les femmes juives face aux problématiques de l'émancipation
Les critères régissant la nouvelle féminité restent à définir. Les contours de cette religiosité féminine sont singulièrement flous ce qui pousse plusieurs femmes à se saisir du sujet tout au long du XIXe siècle.
Souvent la première étape est constituée d'un effort de rédaction d'un ouvrage de prières pour les femmes. La plus connue des auteures de recueils de prière est Fanny Neuda[1] qui publie en 1855 Stunden der Andacht (litt. « heures de dévotion »), un livre de prières en allemand à destination des femmes qui connait un succès majeur avec pas moins de 28 éditions jusqu'aux années 1920. Le choix de l'allemand est tout sauf anodin puisque les précédents recueils publiés au XVIIIe siècle, valorisaient, comme le Tseinah ou Reinah, le yiddish. Or, la langue de l'assimilation est évidemment l'allemand et le yiddish, désormais appelé jargon, est assimilé au passé et au ghetto. Le contenu des prières révèle l'inflexion que prend le rôle de la femme dans les esprits féminins. Moins passive, la femme est vue comme la première éducatrice dans l'acquisition du judaïsme et le cœur de ce foyer désormais sacralisé, car considéré comme vivant, et véritable métonymie d'Israël.
Grace Aguilar va plus loin encore dans sa relecture du rôle féminin au sein du judaïsme. En 1845 paraît The Women of Israel, essai dans lequelle elle défend la place majeure occupée par la femme dans la tradition juive et appelle à quelques réformes. Elle engage ses coreligionnaires à davantage valoriser leur rôle d'éducatrice pour les enfants, ce qui correspond plutôt à l'éthos bourgeois européen, ce qui nécessite bien entendu une meilleure formation à la religion. Elle propose également que la femme puisse user de son don naturel pour le chant afin de louer Dieu, ce qui est contraire aux usages. A aucun moment Grace Aguilar ne parle de l'introduction de nouveautés au sein du judaïsme. Elle évoque plutôt la nécessité de remettre au goût du jour des traditions ancestrales trop longtemps mises de côté. Jamais elle ne remet en cause l'essentialisme régissant la différence de rôle entre l'homme et la femme, elle soutient même l'infériorité relative de cette dernière. Pourtant en utilisant cette rhétorique conservatrice à des fins d'amélioration de la condition féminine dans la religion juive, elle inaugure un mode d'expression encore courant chez les féministes orthodoxes (de toute religion d'ailleurs me semble-t-il) ; ce n'est pas le judaïsme qui met les femmes à l'écart, mais certains rabbins par leurs interprétations.
Les questions autour de l'apprentissage des textes sacrés ou du contrôle des rites ne sont concrètement abordées qu'au cours du XXe siècle. Il est en revanche un domaine du religieux où les femmes juives trouvent leur place au XIXe siècle, c'est celui de la charité. En effet, cette dernière coïncide à la fois avec la tradition juive (tzedaqah[2] ) et les nouvelles normes bourgeoises. Les femmes juives sont d'autant plus nombreuses à s'y investir que cette pratique sociale, de plus en plus laïcisée au cours du XIXe siècle sous le nom de philanthropie, constitue une brèche dans les murs du foyer. Certains y voient l'irruption ou le retour de la femme dans la sphère publique, mais cette distinction entre public et privée a été contestée et jugée finalement peu efficiente. Cet espace public a, tout d'abord, des contours extrêmement flous et il est donc très facile pour l'homme de les redéfinir à loisir. Par ailleurs, les comportements sociaux y sont également fortement normés, compte tenu des critères de respectabilité bourgeoise. Enfin, les cordons de la bourse (sauf situation matrimoniale originale) sont en définitive entre les mains de l'homme. Par conséquent cette pseudo-sphère publique correspond plus à une forme d'extension du foyer qu'à un espace de réelle liberté.