Féminismes séculiers et féminismes islamiques : exemples dans le monde arabe
Les premiers traités en faveur de l'émancipation des femmes, dans les sociétés majoritairement musulmanes, apparaissent au XIXe siècle et sont produits par des hommes de religion réformateurs et des penseurs de la nahda[1] . Ce mouvement intellectuel, composé de femmes et d'hommes de différentes confessions (musulmans, chrétiens et juifs), reflet de la diversité du monde arabe, comprend également l'islah[2] .
Les élites réformistes et féministes de la nahda
Dès le début de la nahda, la question de l'éducation des femmes apparaît pour certains comme une des conditions sine qua none du processus de modernisation du monde arabe majoritairement musulman. C'est le cas du cheikh égyptien Rifa'a al-Tahtawi[3] , qui a dirigé la première mission d'étudiants de l'Université Al-Azhar en France, à la fin des années 1820. Il s'attelle alors à un minutieux travail de relecture des textes fondamentaux de l'islam (Coran et hadith) à la lumière des idées nouvelles produites dans les langues européennes. Il publie Le guide fidèle pour l'instruction des filles et des garçons, véritable plaidoyer en faveur de l'éducation des filles et travail pionnier dans la défense de l'égalité des sexes pour ce qui concerne l'accès à l'enseignement. Face aux adversaires de l'instruction des filles, issus notamment des milieux conservateurs de l'université Al-Azhar, R. al-Tahtawi leur oppose des critiques virulentes fondées entre autres sur des arguments de nature religieuse en citant certaines épouses du prophète, telles que Aïcha et Hafsa, qui étaient des femmes instruites.
Deux générations plus tard, émerge un autre penseur phare de la nahda, Qasim Amin[4] . Son œuvre majeure tient en deux essais fondamentaux, à savoir : Tahrir al-mara (« La Libération de la Femme ») et Al-mar'a al-jadida (« La Nouvelle Femme »). Dans ces ouvrages, il défend l'amélioration de la condition des femmes - jugée catastrophique - dans les sociétés majoritairement musulmanes, le primat de la raison, la modernisation de l'islam, l'accès à l'éducation pour tous, etc. Le premier, paru en 1899, provoque un véritable tollé de contestations dans les milieux conservateurs et marque un tournant dans la société égyptienne. Ce livre, qui s'appuie sur des arguments théologiques, constitue un véritable plaidoyer pour l'émancipation des femmes, la fin de la ségrégation sexuelle, l'accès des femmes à l'enseignement, l'abolition de la répudiation et de la polygamie.
Dans ce contexte d'effervescence intellectuelle où émergent des élites qui ne doivent pas tout leur savoir à une formation religieuse qui reste néanmoins centrale, les livres de Qasim Amin ont une influence sur Tahar Haddad[5] . Avec Notre femme dans la législation islamique et la société (1930), le savant tunisien analyse d'abord l'impact de la sharî‘a[6] sur la condition des femmes pour ensuite fournir un argumentaire théologique qui tente d'allier la religion et la « modernité ». I revendique l'émancipation juridique des femmes, leur instruction et leur participation à la vie sociétale tout en prônant l'abolition de la polygamie et de la répudiation, et l'égalité successorale. Pour ce faire, il se fonde sur une interprétation rationnelle et contextualisée des sources fondamentales de l'islam en proposant une lecture dynamique des textes scripturaires (Coran et hadith) qui distingue deux niveaux, à savoir : les vérités dites immuables (unicité de Dieu, justice, etc.) et les lois muables (relations matrimoniales, sociales, etc.) qui représentent un ensemble de codes propres au VIIe siècle, contenus dans les sources islamiques, qui sont amenés à s'adapter aux évolutions sociétales. La sharî‘a relative au statut des femmes (autorité maritale, héritage, etc.) fait partie, selon T. Haddad, des lois changeantes, elle doit être revisitée à l'aune d'une égalité des sexes conformément à l'esprit coranique et à l'exemplarité du prophète de l'islam. Les propositions de T. Haddad en faveur de l'émancipation féminine, pourtant violemment condamnées par les politiciens conservateurs et les religieux traditionnels, sont prises en considération lors de la promulgation du Code du statut personnel en août 1956, quelques mois après l'indépendance de la Tunisie.