Mouvements féministes, panarabisme, universalisme
A côté de ces figures masculines qui ont essentiellement publié des traités en faveur des droits des femmes, il existe des figures féminines majeures. Le féminisme arabe, en tant que discours explicite et en tant que mouvement public organisé arabe ne débute véritablement que durant les années 1920. Il se développe durant la même période que les mouvements féministes européen et américain, mais dans le cadre de la colonisation. Aussi, ce féminisme historique arabe est qualifié de séculier dans la mesure où il mobilise un discours sur les droits, la citoyenneté et le nationalisme. Il est initié principalement par des femmes érudites issues de l'aristocratie et de la bourgeoisie, qui représentent les figures fondatrices du féminisme arabe, et sont systématiquement associées aux partis de libération nationale.
Dans le contexte de la nahda, les traités de la génération précédente ont été diffusés et lus notamment dans des clubs littéraires de femmes. Dans ses mémoires, l’Égyptienne Huda Sha‘arâwî[1] , figure de proue du féminisme arabe, relate les vives discussions qui ont eu lieu, dans les années 1890, au cœur même des salons des harems du Caire autour des questions sur la réclusion des femmes, la ségrégation sexuelle ou le voile intégral. Présente aux débats et événements décisifs de son temps, elle exerce une influence bien au-delà de l’Égypte. Engagée dans le mouvement national de libération, elle fonde en 1919 « la Société de la femme nouvelle » dont les principaux objectifs sont l'alphabétisation et la formation des jeunes filles issues des milieux populaires du Caire. Le Comité central des femmes du Wafd[2] (1920) comme l'Union Féministe Égyptienne, fondée par Huda Sha‘arâwî en 1923, rassemble des musulmanes comme des coptes autour du combat pour l'indépendance d'une part, et du mouvement collectif de libération revendiquant des droits en faveur de l'égalité des sexes sous la bannière du qualificatif « féminisme ».
L'aspiration au développement d'un féminisme panarabe a clairement une vocation universaliste, dans la mesure où les principales actrices participent aux congrès féministes internationaux des années 1920-1930. Ainsi, en qualité de présidente de la délégation égyptienne au congrès féministe international de Rome, en 1923, Huda Sha‘arâwî n'hésite pas à inviter Mussolini à octroyer le droit de vote aux femmes italiennes. En 1925, l'Union Féministe Égyptienne lance une revue féministe en langue française : L'Égyptienne « Politique, Féminisme, Sociologie, Art » sous la direction de Saiza Nabarawi[3] . Cette revue sera suivie, en 1937, d'une autre revue, bimensuelle, en langue arabe al-Misriyah (« L’Égyptienne ») où les revendications féministes sont articulées avec des revendications fondées sur le panarabisme. En décembre 1944, à l'appel lancé par Huda Sha‘arâwî, le premier congrès féministe international arabe a lieu au Caire où sont explicitement associées l'émancipation des femmes et l'émancipation des « peuples arabes ». L'année suivante, profondément déçue par les fondateurs de la Ligue des États arabes, dont les représentants ne comptent aucune femme, Huda Sha‘arâwî s'adresse à eux dans les termes suivants : « La Ligue dont vous avez signé le pacte hier n'est qu'une moitié de la Ligue, la Ligue de la moitié du peuple arabe ».
Après 1956, le président Gamal Abdel Nasser[4] met un terme à la plupart des velléités démocratiques. Parmi d'autres, les organisations féministes sont interdites et ses responsables emprisonnées ou contraintes à l'exil.