Un exemple d'antijudaïsme populaire : la révolte de Fettmilch, Francfort-sur-le-Main, 1614
L'émeute a pour point de départ un conflit entre les représentants des métiers (corporations) de la ville et le conseil urbain[1] : les premiers réclament une participation et une représentation accrues au second, monopolisé, comme souvent, par deux familles de patriciens. Mais ils exigent également que soit instauré un marché aux grains public, une baisse de 12 à 6% des taux d'intérêt appliqués par les prêteurs Juifs, – même si, dans les faits, les taux sont les mêmes chez les prêteurs chrétiens qui pratiquent de facto le prêt à intérêt en dépit de son interdiction théorique – et enfin la diminution du nombre de Juifs dans la ville.
La révolte commence au moment du couronnement de l'Empereur, qui a lieu à Francfort en juin 1612. Dans un premier temps, les métiers obtiennent en partie gain de cause : le conseil urbain accepte, le 21 décembre 1612, de s'élargir à 18 nouveaux membres, qui peuvent être issus des métiers, et qui auront également un droit de regard sur les comptabilités. Mais la consultation des comptabilités révèle que la ville est endettée et que le Conseil a accaparé des fonds destinés à l'entretien des pauvres. On s'aperçoit également que le produit de l'impôt spécial dû par les Juifs de Francfort au conseil (Schutzgeld), a été détourné et partagé entre les membres du conseil. Les Juifs sont alors accusés de faire cause commune avec le patriciat.
Vincent Fettmilch, un boulanger, lance la révolte et s'appuie sur une ancienne lettre de l'Empereur Charles IV datant de 1349, par laquelle l'Empereur affirmait qu'il ne tiendrait pas la ville pour responsable si les Juifs venaient à « mourir, dépérir ou s'ils venaient à être battus ». Le 5 mai 1614, Fettmilch fait occuper les portes de la ville par ses partisans, déclare le conseil urbain démis et en fait arrêter les membres.
La révolte se retourne ensuite contre les Juifs de la ville. Le 22 août, une foule de compagnons défile dans la ville aux cris de « donnez-nous du travail et du pain ». Vers midi, ils arrivent dans la rue des Juifs, un quartier fermé à la limite orientale de la ville, entouré de murs, et accessible seulement par trois portes. Les affrontements font trois morts, deux parmi les Juifs, un parmi les assaillants. Juifs s'enfuient dans le cimetière et dans les quartiers chrétiens, la rue des Juifs est pillée, jusqu'à ce que, vers minuit, les compagnons soient chassés par la milice urbaine. Or, contrairement à ce qu'ils attendaient, les membres des métiers de Francfort n'ont pas reçu le soutien de l'Empereur. Le 28 octobre 1614, Fettmilch est mis au ban de l'Empire, puis jugé avec 38 autres accusés pour lèse-majesté. Sept d'entre eux, dont Fettmilch, sont condamnés à mort et exécutés.
Un mandat impérial impose le retour des Juifs chassés et la restauration de leurs droits, les métiers sont condamnés à une amende de 100 000 florins à l'Empereur –une somme considérable alors.
On voit bien dans cet exemple comment fonctionne l'antijudaïsme populaire de l'époque moderne, la centralité de l'accusation de l'usure, mais également le soupçon d'une alliance avec les patriciens. On y voit aussi très bien le rôle de l'Empereur, protecteur des Juifs de l'Empire qui étaient, jusqu'au XVe siècle, sous son autorité directe. Après la « Réforme d'Empire » de la fin du XVe siècle, le pouvoir des États d'Empire (Reichsstände) s'accroît au détriment de celui de l'Empereur, et le statut des Juifs est de plus en plus réglé territoire par territoire, sans que la protection impériale ne disparaisse entièrement. Mais d'autres exemples nous invitent à ne pas opposer « l'homme du commun » animé par un sentiment antijuif à des autorités qui protègeraient les droits des Juifs.