Prêt et commerce des Juifs à Weimar au XVIIIe siècle
En Saxe-Weimar, comme dans beaucoup de territoires allemands, les Juifs n'ont plus le droit de s'établir ni de résider depuis le XVe siècle. En revanche, des Juifs « étrangers voisins », qui résident dans d'autres territoires, souvent proches, sont autorisés à venir commercer à certaines conditions. De manière générale, les Juifs se font massivement exclure du commerce de l'argent par des chrétiens au cours du XVIIe siècle. Ils se tournent alors vers le commerce des marchandises, en particulier entre villes et campagnes. Dans certaines régions, ils se spécialisent dans le commerce du bétail, des peaux, mais également des grains, ou des fruits. À chaque crise économique, on observe des séries de mandats édictés par les autorités pour leur interdire le commerce, ou pour le circonscrire.
En 1750 à Weimar, sur le modèle d'un décret pris par le territoire voisin de Würzburg, les autorités décident d'encadrer et de restreindre le commerce avec les Juifs, afin, disent-elles, « de mettre un terme à leurs agissements usuriers et de protéger les sujets de ces dommages[1] ». Toutes les transactions supérieures au montant de 5 florins, soit une somme relativement peu élevée, doivent être contrôlées et enregistrées auprès des autorités dans un délai de quatre semaines, et tous les Juifs doivent être munis d'une autorisation spécifique pour commercer dans le territoire. Cet encadrement très strict des pratiques commerciales avec les marchands juifs a pour but explicite de le rendre plus difficile. Mais ce mandat provoque un nombre important de suppliques[2] demandant la suspension ou l'abrogation du mandat. En effet, dans la région, de nombreux commerçants juifs sont impliqués dans le commerce de bétail, de viande, de pain, de grain, de cuir et de peaux. Certaines de ces suppliques proviennent des marchands juifs eux-mêmes, qui réclament un assouplissement des règlements et qui semblent déjà contourner le mandat dans la pratique. Mais la plus grande majorité proviennent des communautés locales, comme à Ostheim, en 1784 : ce sont tout d'abord les tisserands et les mégissiers [sorte de tanneurs] qui rédigent des suppliques, réclamant une modification des mandats sur le commerce des Juifs : les conditions sont trop dures, et les Juifs ne font plus de crédit aux mégissiers de la ville, ils se sont détournés de la ville d'Ostheim, qui périclite. Enfin, disent les maîtres de métiers, qui est mieux à même de déjouer les « tromperies » des Juifs ? Les membres du métier, qui en connaissent les moindres détails grâce à une longue pratique depuis de nombreuses années, ou les « fonctionnaires » (Beamte), qui « n'y connaissent rien » ? Bref, « cette restriction du commerce des Juifs [leur] est hautement préjudiciable et elle amoindrit [leur] métier » : ce faisant, elle menace l'économie de la ville tout entière. Ils sont suivis par 25 maîtres de métiers qui écrivent que, « s'ils reconnaissent avec une gratitude infinie la sollicitude toute paternelle des autorités pour protéger les sujets des vilenies des Juifs, il faut reconnaître qu'on ne saurait l'appliquer en tous les domaines, et qu'elle ne peut, ni ne doit s'étendre à [eux] » : ils reprennent donc bien les arguments des autorités et convoquent la figure du Juif fourbe, mais pour mieux justifier que cette configuration ne s'applique pas à eux. |
Vue « d'en bas », la figure du Juif usurier et commerçant est bien plus ambivalente que lorsque l'on s'en tient à l'économie politique ou aux écrits des théologiens. Si l'antisémitisme populaire s'en est régulièrement emparé lors de pogroms ou de révoltes antijuives, elle n'épuise pas la complexité des relations, notamment commerciales, entre juifs et chrétiens.