Introduction
De nombreux massacres ont jalonné les huit guerres de religion qu'a connues la France entre 1562 et 1598. Le premier conflit est initié par le massacre de plusieurs dizaines de protestants réunis dans une grange, dans la ville champenoise de Wassy, le 1er mars 1562. À la fin du mois d'août 1572, la Saint-Barthélemy[1] et ses prolongements provinciaux constituent sans doute le point d'orgue de cette violence massacreuse, laquelle tend à décliner dans les années suivantes. De telles exactions ne sont alors pas un fait inédit, ni en Europe, ni au-delà : massacres commis dans la Russie du tsar Ivan le Terrible (r. 1547-1584), massacres au moment de la conquête de Chypre par les Ottomans (1571) et lors des guerres contre la Perse (1576-1590), massacres encore dans le Japon de Hideyoshi (1537-1598) ; les exceptions de la période se trouvent en Asie, pendant le court règne de l'empereur chinois Longqing (r. 1567-1572) et celui, beaucoup plus long, de l'empereur mogol Akbar (r. 1556-1605) qui a cependant construit une partie de son empire par la force. Le sac de Rome en 1527 ou la conquête du plateau aztèque par les conquistadores dans les années 1520 ont donné lieu à des massacres qui ont scandalisé nombre d'observateurs et suscité de vives dénonciations. Le massacre, s'il n'est pas un objet banal, est donc inscrit dans les structures mentales du temps et est souvent référé à son archétype biblique, le massacre des innocents . Les gravures contemporaines, comme celles de Tortorel et Perrissin, mobilisent d'ailleurs implicitement ce type de représentations.
Les guerres civiles de religion et la litanie de cruautés et d'exactions qui les accompagnent sont pourtant perçues comme franchissant un nouveau seuil de violence. Le lexique en porte d'ailleurs la trace. Le terme même de « massacre » aurait en effet pris son sens contemporain en France en 1566 dans un libelle, histoire mémorable de la persécution et saccagement du peuple de Mérindol et Cabrières, à propos du massacre des hérétiques vaudois[2] en Provence . Le terme est initialement associé à la boucherie, désignant la planche à découper du boucher, tandis que le massacreur est son couteau. Le terme est surtout employé par les protestants pour désigner la violence catholique et son usage se répand fortement après 1572 pour désigner les violences liées au jour de la fête du saint Barthélemy, en France comme à l'étranger. Dès la fin du XVIe siècle, les Anglais désignent couramment cet événement comme le « massacre sanglant à Paris ». L'environnement sémantique qui entoure le mot massacre est toujours soigneusement choisi dans les libelles et participe d'un dispositif pour discréditer un adversaire : aux côtés des massacreurs, ces textes évoquent les cruautés, des persécutions, la barbarie. En cela, le massacre s'oppose à la violence réglée et au code d'honneur de la guerre chevaleresque.
Qu'entend-t-on ici par massacre ? Suivant le politologue Jacques Sémelin, on peut le définir comme une « forme d'action le plus souvent collective visant à détruire des non-combattants, en général des civils ». Le massacre ne vise pas à battre un adversaire, mais à détruire un ennemi essentiel. Si le massacre apparaît comme délirant, irrationnel, il repose en fait sur des structures mentales relativement stables et répond parfois à des impératifs stratégiques.