Acteurs, temporalité et géographie des massacres
Des massacres d'abord imputables aux catholiques ?
Ces massacres, sur le territoire français, sont plutôt le fait des catholiques. Non pas que les huguenots aient refusé de faire appel à la violence, mais elle prend rarement la forme d'une action collective sur les simples fidèles. Elle cible plutôt les soldats, les clercs ou encore les objets. Assimilant les images saintes à une forme d'idolâtrie, les protestants se livrent en effet à des actes d'iconoclasme[1] : le premier qui survient dans le royaume de France, en 1528, est suivi de plusieurs vagues, en 1555 à Toulouse, en 1561 à nouveau dans la capitale, dans plusieurs villes du royaume en 1562... C'est un trait que relèvent déjà les auteurs calvinistes de l'Histoire ecclésiastique. Ils affirment en effet que « ceux de la Religion » faisaient la guerre seulement aux images et aux autels.
Les catholiques s'attaquent aux personnes, les protestants aux biens. Cette vision, complaisante à l'égard de la violence huguenote, doit évidemment être relativisée. Les foules protestantes ont bel et bien pris pour cibles de simples fidèles. Le massacre de la Michelade, survenu dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1567 à Nîmes – après la Saint-Michel, d'où son nom – est sans doute le plus connu de ces massacres perpétrés à l'initiative des huguenots. La ville, majoritairement protestante, s'était vue imposer des consuls catholiques par le gouverneur de la province. Alors que les huguenots reprennent le contrôle des institutions municipales, un incident banal entre les deux communautés (une femme est bousculée par un mercenaire du gouverneur) dégénère en émeute. Entre 16 et 120 catholiques – notables civils et religieux, militaires – sont emmenés de force à l'évêché de Nîmes, assassiné à coups de dague et précipités dans un puits. Le 15 août 1562, la tuerie de Lauzerte (aujourd'hui en Tarn-et-Garonne), lors de laquelle 94 clercs sont tués, est un autre massacre perpétré par les protestants. Inversement, la violence catholique s'est aussi portée sur les biens. Les destructions de temples jalonnent les conflits, tandis que les bibles en français sont également brûlées.
Reste que les historiens, de Natalie ZemonDavis à David El Kenz en passant par Denis Crouzet, ont globalement confirmé le constat d'une nette domination catholique parmi les auteurs de massacres dans le royaume de France.
Des massacres localisés dans le temps et dans l'espace
L'historien David El Kenz s'est attaché à quantifier et à localiser les massacres. Les massacres ne surviennent pas sans logique et s'inscrivent au contraire dans des schémas qui dépassent la seule France des guerres de religion :
- Les massacres apparaissent souvent en dehors ou à la marge des phases d'affrontements réglés entre partis militaires, par exemple juste avant le déclenchement de la première guerre civile, en 1560-1562 ou en 1567, à la veille de la deuxième.
- Ils se développent dans les territoires où les deux communautés, catholique et protestante, sont dans une situation de relatif équilibre démographique.
- Ils répondent au rejet, par la majorité catholique, de la solution de la coexistence confessionnelle et de la tolérance civile .[3] Après 1577, la fréquence des massacres décline dans les villes, car de nombreuses communautés protestantes ont été contraintes à la dispersion et à l'émigration et les fidèles restants ne représentent plus de menace pour la majorité catholique.
- De nombreux massacres accompagnent également le fait militaire. On peut suivre l'analyse de l'historien David El Kenz : Entre 1559 et 1571, d'après un corpus de 58 massacres, relevés dans l'Histoire des martyrs (1614) de Jean Crespin continué par Simon Goulart et dans l'Histoire ecclésiastique des Églises réformées au royaume de France (anonyme mais attribuée à Théodore de Bèze[4] , 1580), la Provence connaît le plus grand nombre de tueries (62,7 %), suivie de loin par la vallée de la Loire (8,5 %), le Languedoc (5,2 %), la Champagne (4,6 %), la Guyenne et le Poitou (4,6 %). Cette géographie des tueries correspond aux zones de combat les plus intenses. David El Kenz relève qu'un tiers des massacres éclate à l'occasion de la prise d'une ville. À Tours, 200 protestants sont ainsi massacrés lors de la reconquête de la ville par les catholiques le 11 juillet 1562.
La nette surreprésentation du Midi dans la géographie des massacres apparaît en fait liée à l'exceptionnelle densité urbaine de cette région, à l'importance de la communauté huguenote et à l'intensité de l'affrontement militaire : les forces y sont équilibrées, ce qui favorise l'escalade des violences. Cette répartition tient sans doute également à un effet de source : les églises réformées méridionales sont particulièrement dynamiques et ce sont elles qui ont abreuvé l'auteur de l'histoire ecclésiastique de rapports circonstanciés sur les massacres. À l'inverse, la Bretagne est exempte de tueries : le fait protestant est très peu présent et le gouverneur catholique, le duc d'Étampes[5] , conserve sa modération et prévient les combats fratricides.