Contexte et développement des théologies féministes
Ce type de réflexion théologique critique apparaît dans les années 1960 aux États-Unis, à l'initiative de femmes universitaires. Le contexte est à la fois celui du Concile Vatican II[1] et des mouvements œcuméniques[2]. C'est à cette époque qu'émergent la théologie de la libération[3] en Amérique Latine autour du combat contre la pauvreté, et les théologies « black » aux États-Unis, qui remettent en question les hégémonies de « race ».
Le contexte du développement du mouvement d'émancipation des femmes est également déterminant. Outre que ces théologies de femmes reconnaissent leurs sources dans le féminisme d'un point de vue théorique, ces mouvements sont aussi la condition de possibilité de l'émergence d'un tel discours. Les femmes acquièrent un accès à la parole et au savoir, non plus en tant qu'individualités, mais en tant que collectivité, elles prennent la parole sur leur corps, comme formulation de leur expérience en tant que femmes, êtres humains à part entière. A cette époque, le nombre grandissant de femmes ayant accès au savoir académique ouvre à la reconnaissance des catégories d'analyse qui permettent d'entreprendre de façon systématique la déconstruction du savoir traditionnel.
Cette nouvelle théologie connaît une réelle efflorescence aux États-Unis, et on assiste à l'apparition de tendances plus ou moins divergentes, qui vont du durcissement critique à la sortie du christianisme, comme ce sera le cas de Mary Daly[4] . Si, au départ, la réflexion théorique se situait en marge des disciplines scientifiques universitaires, les années 1970 voient sa promotion au rang académique par le biais des Women's Studies[5] , et des programmes universitaires de théologie aux USA et au Canada viennent leur fournir un cadre officiel. Une figure marquante de cette théologie féministe académique dans les années 1980 est Elisabeth Schussler Fiorenza[6] , dont l'œuvre contribue à faire sortir ces idées de l'ère anglo-saxonne grâce aux traductions qui en sont faites. C'est à cette époque que de telles théologies se développent dans les milieux francophones du Canada, notamment dans les travaux d'Elisabeth J. Lacelle[7] et Monique Dumais[8] .
En Europe, l'implantation des théologies féministes se déroule en plusieurs phases. Entre 1960 et 1975, les réflexions théologiques sur la condition des femmes s'inscrivent dans la dynamique du Concile Vatican II et des différentes formes de mobilisation de la jeunesse (France, Allemagne, Italie...) autour du printemps 1968. Entre 1975 et 1986, la théologie féministe européenne naissante est encore largement tributaire de la pensée nord-américaine. A partir de 1986 et de la fondation de l'Association des Femmes d'Europe pour la Recherche théologique (AFERT)[9] , elle acquiert peu à peu une physionomie propre, moins radicale. Elle se répand surtout dans l'aire culturelle germanique, anglo-saxonne et scandinave, très peu en milieu francophone, et est absente d'Europe centrale et de l'Est.
Dans les années 80, les théologies féministes s'étendent également dans les autres continents et au sein des « minorités ethniques » en Amérique du Nord. La diversité des contextes donne naissance à des théologies féministes latino-américaines, africaine et asiatiques, à la théologie « womaniste » afro-américaine (qui cherche à conjuguer la conscience des oppressions de race et de genre, l'une occultée par la théologie féministe, l'autre par la « black theology ») et à la théologie « mujerista » des hispano-américaines.