Religions et représentation figurée

Les Réformateurs face aux images

Mais qu'en pensent les Réformateurs eux-mêmes ? Le différend qui oppose Luther à Carlstadt témoigne du fait que leurs positions sont variées. Si Luther ne préconise jamais la destruction des images, Zwingli la justifie à Zurich. En Suisse romande, le réformateur Guillaume Farel[1] proclame la Réforme entouré d'activistes prêts à brûler des images, décrocher des crucifix ou abattre des autels.

Quel est l'avis de Calvin, le Réformateur de Genève ? Il ne dénonce pas les images saintes comme mauvaises en tant que telles (et il ne préconise donc pas leur destruction), mais il relève qu'elles ne sont pas utiles au salut, qu'elles peuvent même être dangereuses car elles risquent toujours de renforcer la superstition, et que les Eglises des premiers siècles n'avaient pas d'ailleurs d'images dans leurs lieux de culte. Les seules images qui conviennent au lieu de culte chrétien, ce sont pour Calvin les sacrements que le Christ a institués , à savoir le baptême et la sainte cène (eucharistie). Il se fonde sur l'interdit du Décalogue pour affirmer, dans l'Institution de la religion chrétienne (livre 1, ch. 11), que Dieu ne peut se laisser représenter. Quand il se montre, c'est sous la forme d'un signe : une nuée, une flamme, une colombe, précisément pour éviter que les chrétiens l'adorent sous cette forme-là. Le Christ n'est pas dépeint par le pinceau, mais par la parole de la prédication. En conséquence de quoi, pour Calvin, se laisser fasciner par une image « comme s'il y avait là quelque divinité », c'est s'abêtir au plus profond.Calvin, qui est marqué par l'humanisme et qui cultive en particulier l'art des belles-lettres, prend soin de ne pas interdire toute activité artistique : « Je ne vais pas jusqu'à dire qu'aucune image ne devrait être tolérée. Mais, dans la mesure où l'art de peindre et celui de sculpter sont des dons de Dieu, je demande que l'usage en soit gardé pur et légitime afin que ce que Dieu a donné aux hommes pour sa gloire et pour leur bien ne soit ni perverti ni souillé » (Institution I, 11, 12, trad. modernisée).

Si Calvin ouvre ainsi une porte à l'art, et même à l'art religieux, il interdit la présence des images dans les lieux de cultes. A ses yeux, de l'admiration de l'image à l'adoration de l'idole, il y a un pas dont l'expérience montre qu'il est vite franchi. Cela étant dit, jamais il n'exhorte à détruire quelque image que ce soit, étant entendu (écrit-il dans une lettre de 1562) « que jamais Dieu n'a commandé d'abattre les idoles, sinon à chacun en sa maison, et en public à ceux qu'il arme d'autorité ». Il y a plus : Calvin (mais il n'innove pas en cela) reprend le thème patristique[2] de l'humain créé à l'image de Dieu (cf. Genèse[3] , ch. 1). Pour lui, la véritable image de Dieu est donc à chercher non dans la pierre ou le bois, mais dans les personnes vivantes. L'homme, même s'il est ignorant, pauvre, ou exclu de la société, doit être reconnu comme image de Dieu. C'est là, pour Calvin, le fondement de la morale : « Dieu a toujours voulu déclarer que la vie des hommes lui est précieuse » (Sermon 125 sur le Deutéronome). En faisant d'une image matérielle le support de sa piété, on court ainsi le risque, pour Calvin, de se détourner de la seule image de Dieu qui puisse se rencontrer sur terre : la personne humaine elle-même.

On peut comprendre que la subtilité d'un tel discours théologique n'ait pas toujours été comprise sur le terrain et que certains d'entre les disciples de Calvin, croyant sans doute bien faire, ont imaginé que la destruction des images pieuses était le comble de la piété.

  1. Guillaume Farel (1489-1565)

    Intellectuel et humaniste français, puis réformateur très actif en Suisse occidentale (territoires francophones sous la juridiction de Berne, Genève, Neuchâtel). Cf. sa notice dans le Dictionnaire historique de la Suisse (http://www.hls-dhs-dss.ch).

  2. Patristique

    Relatif aux « Pères » de l'Eglise, c'est-à-dire aux auteurs chrétiens des premiers siècles de l'ère chrétienne dont la doctrine fait autorité.

  3. Genèse

    Premier livre de la Bible, qui raconte notamment les origines du monde et l'histoire des patriarches. La citation est la suivante : « Dieu dit : Faisons les humains à notre image, selon notre ressemblance » (chapitre 1, verset 26)

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