La traduction arabe de la Bible : une coopération américano-arabe
Les acteurs directement impliqués dans la première traduction arabe de la Bible au XIXe siècle sont au nombre de quatre. Eli Smith[1] est missionnaire de l'American Board of Commissioners For Foreign Missions (ABCFM). Il séjourne brièvement à Malte en 1826 en tant qu'assistant directeur de l'American Mission Press : l'île de Malte est alors considérée comme le seul endroit de la Méditerranée centrale ou orientale où une presse protestante peut fonctionner en toute sécurité. Dans l'Empire Ottoman, les missionnaires protestants font face à une opposition radicale dans les milieux musulmans et une hostilité souvent violente dans les communautés catholiques et orthodoxes. Eli Smith, qui maîtrise de nombreuses langues, est désigné pour prendre une nouvelle initiative. En 1834, il s'installe définitivement à Beyrouth avec son épouse afin de superviser l'activité de l'imprimerie, transférée depuis Malte quatre ans plus tôt dans une société l'outil de reproduction de l'écrit a été interdit pendant plusieurs siècles. Il a déjà vécu chez des paysans dans la montagne à l'Est de Beyrouth, ayant besoin de maîtriser l'arabe sous ses deux formes, savante et populaire, afin de pouvoir l'employer dans toutes les situations. Mais il est à la recherche d'un traducteur natif qui maîtriserait à fond l'arabe pour pouvoir transmettre le message biblique avec davantage de fidélité. C'est son assistant Butrus Bustani qui est chargé de préparer une ébauche préliminaire de la traduction arabe dans le cadre de l'Imprimerie américaine.
Butrus Bustani[3] est devenu un ami des missionnaires protestants. Ancien étudiant de théologie au Collège Maronite, professeur de langues dans un collège de Jésuites, il est recruté par Smith pour collaborer à la mission de Beyrouth au sein de laquelle il devient lui-même protestant. Il enseigne, écrit un certain nombre de manuels de la mission, ainsi que des manuels d'enseignement. Il est déjà compétent en syriaque, latin, italien et français et tout en travaillant à traduire la Bible, il apprend l'hébreu, l'araméen et le grec. Son activité linguistique au service de la langue et de la culture arabes lui vaut le titre de Mu‘alim (« Maître ») par ses nombreux disciples. Quand il le rejoint au sein de l'Imprimerie américaine, Nasif Yaziji[4] est déjà un lettré distingué, mais il ne maîtrise pas d'autre langue que l'arabe. Il ne se fait pas baptiser protestant et se trouve parfois déconsidéré par ceux qui l'emploient. Mais il se trouve être le seul capable d'aider Eli Smith à réaliser son ambition, celle d'atteindre une qualité linguistique très élevée pour gagner le respect des Arabes.
De la même génération que Butrus Bustani, Cornelius Van Alan Van Dyck[6] est le plus jeune Américain envoyé dans la Syrie ottomane, le 2 avril 1840. Il est spécialisé en médecine, mais n'a jamais étudié la théologie. Au cours des dix-sept années qui suivent, il apprend à maîtriser l'arabe, le syriaque, l'hébreu, le grec, le français, l'italien et l'allemand. Son don pour les langues est associé à une mémoire phénoménale, et il excelle dans la médecine, l'astronomie, les mathématiques supérieures et les sciences du langage. Lors de la réunion annuelle de la mission après la mort d'Eli Smith, le 3 avril 1857, un comité est chargé d'examiner et d'établir un rapport sur l'état de l'entreprise menée sous sa direction. Le comité est unanime sur le fait que la traduction du Nouveau Testament a été réalisée avec beaucoup de soin et de fidélité, et que le travail doit être poursuivi. Il charge Van Dyck de poursuivre cette tâche ambitieuse et fondamentale de pénétration d'un milieu en participant à la modernisation de la langue tout en respectant ses traits caractéristiques fondamentaux. Cette mission s'inscrit dans un large plan défini un siècle et demi plus tard par le Dr. Krijn Van der Jagt, professeur de théologie biblique et conseiller en traduction à l'Alliance Biblique Universelle (ABU).