Introduction
Dans les territoires conquis par Rome, la domination romaine s'accompagne d'une modification profonde des structures politiques, sociales et religieuses des communautés locales. Les transformations des sociétés provinciales affectent tous les domaines, urbain et rural, public et privé, à des rythmes et à des degrés fluctuant au rythme des combinaisons des histoires locale, régionale et impériale. Ce long processus de transformation, qui conduit les provinciaux à « se sentir Romains »
, selon l'expression du géographe Strabon[1], a été jadis analysé en termes d'assimilation/résistance(s). Selon les partis pris et les contextes, les résultats des recherches ont valorisé tantôt les indices de la rupture avec le passé pré-romain et ceux de l'adoption des pratiques romaines, tantôt les traces des permanences et des continuités avec l'époque de l'indépendance. Aujourd'hui, le dialogue entre les traditions locales et la culture romaine, si tant est que celle-ci puisse être définie comme unitaire, est exploré de manière plus féconde, et de nouveaux concepts ont permis d'envisager les aspects multiformes du processus. Parmi ces concepts, celui de romanisation, un temps délaissé pour ceux de métissage et de créolisation, reste aujourd'hui le plus pertinent et le plus clair pour définir non pas un processus d'adoption, par les vaincus, d'un très hypothétique modèle imposé par le vainqueur, mais la synthèse complexe d'éléments locaux et d'éléments romains dans sa pleine dimension diachronique. Dans le domaine religieux, comme dans les autres domaines, la question est au cœur de la plupart des travaux récents, comme le démontre notamment le cas des Gaules romaines.
Ces territoires, conquis entre 118 av. J.-C. pour la Gaule méridionale[2], et 52 av. J.-C. pour la Gaule « Chevelue »
[3], connaissent une réorganisation administrative déclinée à l'échelle régionale comme à l'échelle locale. Cette réorganisation administrative introduit progressivement des structures civiques inspirées des cadres gréco-romains au cœur desquels la religion civique[4] constitue un élément fédérateur majeur. La place des sanctuaires dans la redéfinition des territoires et des pôles de pouvoir après la conquête permet tout d'abord d'entrevoir les modalités de la transition religieuse. L'étude des panthéons religieux et de leurs nouvelles hiérarchies, les théonymes[5] documentés par d'abondants témoignages épigraphiques, permet une approche de la diversité des situations locales. Ces nouveaux cultes combinent la part du pouvoir central et celle des provinciaux dans la construction d'une nouvelle religion civique.