Divinités aquatiques secondaires
Outre le culte rendu à Neptune et aux Nymphes, les sources et les fleuves sont l'objet d'un culte adressé surtout à leur génie qui n'est probablement qu'un héritier des génies berbères des eaux. Il n'existe cependant pas de preuves tangibles pouvant permettre de dire qu'il y a des dieux berbères des eaux qui sont supplantés par des dieux romains. Quoi qu'il en soit, l'eau est divinisée, c'est pour ça il arrive que les dédicaces soient adressées non seulement aux génies des eaux mais aux eaux des sources et des fleuves elles-mêmes. Toute source apparaît divine, avec ou sans l'intervention d'une puissance surnaturelle intermédiaire. Ces eaux divinisées sont invoquées sous le nom d' « aquae »
, suivit d'un déterminatif géographique. Ce terme désigne généralement les eaux thermo-minérales naturelles, chaudes ou froides, dont l'usage est médical. A travers la lettre de Sénèque à son ami Lucilius (« on honore d'un culte les sources d'eaux thermales »
, Epistulae, IV, 41, 3), nous savons que pour les anciens, les eaux, si elles ont des propriétés physiques et curatives, sont également sacrées. La source de Timgad porte une inscription prés du grand bassin qui se trouve dans le sanctuaire du temple : cette inscription confirme que l'eau de cette source est considérée comme salutifère et que le temple est un lieu de pèlerinage très fréquenté.
Certains puits ont également un caractère sacré. L'époque romaine ne fait que rendre public un culte encore primitif. C'est le cas sur le site de Castellume Dimidi dans la région de Hodna, en Numidie : un puits isolé, au fond d'un souterrain, montre des traces de caractère sacré aux yeux des Romains. Cependant, il n'est pas possible de déterminer si ce puits possède des vertus curatives. Des stèles consacrées aux divinités de la santé donnent à le croire : l'une de ces stèles porte une dédicace à Apollon[1], Esculape[2] et Hygie[3]. Apollon est bien connu comme dieu guérisseur, Esculape est la divinité de la médecine, Hygie est la personnification de la santé : ces dieux recouvrent la personnalité d'un génie des eaux salutifères confondu par les Romains avec leurs dieux médecins.
Le culte des fleuves est général chez la plupart des peuples de l'Antiquité : le fleuve dans sa réalité matérielle est dieu et ses eaux sont considérées comme divines. Les rites qui caractérisent ce culte sont variés. J.Toutain rapporte qu'un rite est en usage en Troade, celui de la baignade des jeunes filles dans le Scamandre[4] à la veille du mariage. Elles chantent, comme un hymne sacré, le vers suivant « O Scamandre, prends-moi ma virginité »
. L'invocation ne peut s'adresser qu'aux eaux même du fleuve dans lesquelles leurs corps se trouvent plongés. En Afrique du nord, il est intéressant de signaler la fête célébrée par la population de Djérid, dans le sud tunisien, au mois de Mai. Parmi les rites observés figurent les baignades prises par les femmes de cette région au fleuve. Elles dénouent leurs cheveux et s'abluent. Les filles prononcent le souhait suivant : « Pharaon allonge mes cheveux et élargis mon séant »
. Il s'agit là d'une pratique destinée à stimuler la fécondité.
Le principe fécondateur que l'on cherche à dynamiser par la baignade sacrée doit affecter non seulement la femme mais aussi et surtout la terre, source de toutes les richesses. On ne sait interpréter de façon sûre –fortifier la végétation ou attirer la pluie- le rituel dit des Argées évoqué par Ovide qui consiste à jeter chaque année, à la mi-Mai, des mannequins d'osier dans le Tibre. Denys d'Halicarnasse rapporte que ces mannequins étaient les substituts d'antiques victimes humaines. Quant à la divinité à laquelle de telles victimes sont immolées, il s'agit bel et bien de la divinité fluviale. En Afrique du nord, aucune pratique de ce genre n'est signalée, mais il en existe d'autres à des époques parfois postérieures : l'immolation de volailles en l'honneur du génie ; le rite qui consiste à jeter dans les eaux du fleuve, des offrandes destinées à la divinité, en particulier des monnaies, rite qui remonte à l'époque ancienne où les divinités fluviales n'ont pas encore pris l'aspect anthropomorphe et où l'élément divin passe pour exister dans les eaux mêmes du courant. En conséquence, pénétrer dans ces eaux c'est porter atteinte à ce caractère et entrer dans le domaine de la divinité qui est interdit aux êtres humains, et celui qui relève ce défi est passible de la punition suprême, à savoir la mort. Une pareille « superstition[5] »
se trouve aussi dans certaines légendes berbères qui montrent que les abords des fleuves et des sources sont fort dangereux à cause des génies qui les fréquentent et qui peuvent causer de terribles accidents aux êtres humains. D'une manière générale, si nous ne possédons pas d'épigraphes comportant des vœux aux fleuves, c'est que les dédicaces s'adressent à leurs génies.
Les rites et les cérémonies magiques destinés à obtenir la pluie subsistent jusqu'à une époque tardive. La légende la plus connue est celle de tislit n'Unzar[6]. Anzar est l'élément bienfaisant qui renforce la végétation et donne la récolte. Pour obtenir la pluie il faut solliciter Anzar pour provoquer son action fécondante, et les rites destinés à obtenir la pluie sont probablement, à l'origine, une personnification mythologique de la terre altérée. Les origines païennes se rattachent probablement à une divinité africaine à savoir Caelestis[7], dont l'un des caractères est celui de pourvoir la pluie, pluie promise par ses devins pendant les périodes de sécheresse. Ce rôle ressort bien de l'inscription de Sakiet Sidi Youssef en Tunisie: « C'est toi qui mets en mouvement les nuages et les vents, à toi Junon... ainsi tu empêches par les pluies que le ciel ne se heurte à la terre... »
. Dans ce cas, la cérémonie célébrée par les habitants de l'Afrique apparaît comme une réminiscence de pratiques anciennes.