Divinités primordiales des eaux
Le dieu Neptune : divinité masculine de l'eau
Neptune, dieu des eaux, doit sa vocation marine à son assimilation avec Poséidon[1]. Il domine la mer, préside aux rivières, aux sources, aux fontaines et à toutes les eaux. Sa fête, les Neptunalia[2], se déroule le 23 juillet. Cette date est certainement en rapport avec sa fonction originelle, celle de protection contre les excès de sécheresse. D'ordinaire, Neptune est figuré debout, nu, avec une barbe et une chevelure abondante, son insigne est le trident et il est souvent accompagné d'un dauphin. Quelle est donc l'image que les Africains du nord conçoivent de cette divinité ? Il apparaît à travers les témoignages archéologiques (inscriptions, mosaïques et statues) que Neptune connaît une grande popularité articulée sur son rapport à l'eau, à la santé et à la production agricole.
Sur la côte, les habitants vénèrent le dieu de la mer. A l'intérieur des terres, Neptune devient dieu des eaux courantes et protecteur des sources. C'est un aspect marqué chez les Africains du nord, cela correspond à une réalité religieuse, celle d'un culte traditionnel des génies des sources, auquel la personnalité de Neptune semble mieux correspondre qu'à celle des nymphes qui, ailleurs dans le monde romain, sont choisies pour assurer cette fonction. Cet aspect est confirmé par une inscription du IVe siècle, découverte près de la source Ain[3] Drinn qui alimente la ville de Lambèse en Numidie (au nord-est de l'Algérie actuelle). Le texte précise que le sanctuaire est bâti « après le recueillement des eaux des sources et des fontaines »
. Ce qui explique le rapport de Neptune avec les eaux douces c'est la nature des offrandes. Une dédicace découverte dans la ville Tituli en Numidie comporte l'offrande d'une fontaine d'eau douce au dieu, mais cela ne peut en aucun cas infirmer sa physionomie maritime, surtout dans les villes côtières, comme Saldae, Carthage et Leptis Magna, où les hommages attestent que le dieu a revêtu cette physionomie. Au cours des travaux effectués sur le site de Sbeïtla (en Tunisie) fut découverte une stèle votive qui qualifie le dieu de « roi des ondes, père des Néréides et maître des eaux »
.
Les trouvailles archéologiques permettent de déceler une autre caractéristique liée à Neptune, à savoir la guérison. En Tunisie, à Ain El Hmadna, un autel a été découvert dans des thermes, il comporte un texte qualifiant le dieu de guérisseur, il tient de sa main droite un trident sur lequel il s'appuie, et de sa main gauche un gros bâton sur lequel s'est enroulé un serpent. Ce dernier est considéré, en Afrique, comme le génie qui chauffe les eaux thermales et leur accorde des vertus curatives. Cette qualité de dieu guérisseur se rencontre également dans une autre station thermale, celle d'aquae Thibilitanae (en Numidie) qui livre une dédicace adressée à Neptune par ses fidèles et où le dieu bénéficie d'un temple.
Une troisième qualité est attribuée à Neptune, celle qui l'associe aux récoltes. Un texte épigraphique découvert à Thapsus dans le sahel tunisien, porte un témoignage nouveau sur l'aspect agraire. Il s'agit d'un texte rédigé en grec adressé à des divinités parmi lesquelles figure le nom de Poséidon-Neptune qualifié de dieu de la fécondité, ce qui fait que Neptune étant dieu de la mer, de l'eau en général et plus précisément des sources, devient par là même protecteur de la végétation et reçoit ainsi l'épithète de frugifère[4].
Ce dieu vénéré au Maghreb est-il une création de l'époque romaine ou a-t-il des origines lointaines ? En d'autres termes, existe-t-il un souverain des flots proprement africain à l'époque préromaine qui a pu être assimilé au Neptune-Poséidon ? Ce qui est attesté, c'est que la Phénicie a connu un dieu de la mer bien qu'il soit difficile de déterminer son origine et son identité. Hérodote parle d'un autre Neptune/Poséidon, d'origine libyque. Des monnaies à légende punique provenant d'Hadrumète et de Thapsus militent en faveur de l'existence d'un dieu local qui peut être le même dieu mentionné par Hérodote[5]. A Ain el Hmadna (Tunisie), un autel comporte dans son registre supérieur Neptune et le serpent : il parait difficile de nier que ce nom romain recouvre en fait une divinité africaine d'autant plus que le dédicant est un africain romanisé, mais ce dernier s'est adressé à un dieu dont il a gardé le caractère africain. Il n'est donc pas facile d'attribuer de manière tranchée une origine essentiellement romaine, ou africaine au culte de Neptune en Afrique. Beaucoup d'héritages civilisationnels (phéniciens, puniques, gréco-romains) sont mêlés et s'ajoutent à l'héritage libyen (local) pour donner ce Neptune qui est vénéré en Afrique du nord.
Le dieu Neptune : divinité masculine de l'eau
A côté de Neptune, dieu masculin des eaux, des divinités féminines des eaux sont honorées, il s'agit des nymphes. Elles sont la personnification des sources ordinaires comme des sources thermales ou médicinales, mais aussi des forêts et des montagnes, elles incarnent les forces productrices de la terre. Leur nom même signifie la jeune fille ou la fiancée. Une fois personnifiées elles interviennent dans la vie des hommes. Elles sont des divinités de la naissance (fertilité) et elles élèvent des enfants qu'elles semblent avoir toujours conçus sous la forme humaine. En cela, elles ne se distinguent pas des nymphes honorées au nord de la Méditerranée.
Quelle est leur origine au Maghreb antique ? S'agit-il d'un héritage gréco-romain ou d'un héritage libyque ? Sur l'ensemble des dédicaces adressées aux nymphes, aucune ne renferme une épithète locale. Mais cela n'exclut pas le fait que les nymphes soient les héritières des génies et des maîtresses libyques des eaux. Dans cette partie du monde romain, l'eau a une très grande valeur. Ce culte[6] existe sûrement avant l'arrivée des Romains bien qu'il soit difficile de l'établir archéologiquement. Il se développe autour des sources thermales comme c'est le cas d'aquae Flavianae en Numidie où on a découvert un grand nombre d'inscriptions qui prouvent que cette station possède des pouvoirs curatifs : les dévots cherchent, par le culte rendu aux nymphes et aux eaux, à être délivrés de leurs maux corporels grâce à l'usage de l'eau. Une inscription vouée au dragon et aux nymphes découverte dans ce lieu soutient cet argument quand on sait que le dragon (serpent) est honoré en Afrique comme génie protecteur des thermes qui leur accorde des vertus curatives.