Les Pays-Bas : un éclatement en deux Etats de confession différente
Ce qu'on appelle à l'époque les Pays-Bas est un conglomérat très lâche de provinces qui recouvrent les territoires qui constituent, au XXIe siècle, le royaume des Pays-Bas, la Belgique, quelques régions du nord de la France et le Luxembourg. Les idées luthériennes y pénètrent très rapidement par Anvers, puis Gand et Bruges, villes riches et commerçantes dans lesquelles les idées nouvelles circulent facilement. Ces provinces à l'histoire tourmentée sont jalouses de leurs autonomies et de leurs privilèges hérités de la période médiévale. Aucune centralisation n'est perceptible dans ces régions. Leur principal point commun est leur souverain Charles Quint. Dès les premières manifestations de la Réforme dans la région, celui-ci réagit très vite et très durement, il en a davantage les moyens que dans l'Empire. En 1521, les premières interdictions, qu'on appelle des « placards[1] », sont publiées, elles manifestent le refus de toute recherche de concorde ou d'effort de réconciliation. Elles introduisent dans le pays un système calqué sur l'Inquisition espagnole[2], qui, nulle part ailleurs en Europe, ne sera appliqué avec tant de rigueur. Ces persécutions n'empêchent cependant pas les progrès du luthéranisme, puis du calvinisme, mais c'est dans la soumission à l'empereur que les populations de la région courbent le dos sous le poids de la persécution. La situation change après l'abdication de Charles Quint. S'il remet l'Empire à son frère Ferdinand, c'est son fils Philippe[3] qui hérite des Pays-Bas, et tente d'y appliquer en matière de religion les méthodes les plus radicales, allant jusqu'à affirmer préférer qu'il ne reste aucun habitant dans ces provinces, plutôt que de les voir protestantes.
Cette politique de force provoque une révolte générale et la lutte pour la Réforme se confond, quelque temps, avec la lutte contre l'Espagne. Ce sera le combat Guillaume d'Orange[4] qui va, de 1568 à 1576, tenter une démarche restée totalement incomprise de la plupart de ses contemporains : rassembler sous une même bannière tous les opposants au roi d'Espagne, sans tenir compte de leur confession, pour lui arracher ensemble l'indépendance des Provinces Unies. Aidé par la brutalité de l'oppression espagnole, il parvient temporairement (1576-1579) à réunir catholiques et protestants : aucune orthodoxie religieuse ne s'est encore vraiment imposée et le protestantisme y reste « fluide »
, pour reprendre une expression de Jonathan Israel, l'un des meilleurs et plus récents historiens de la région. De plus, les habitants de ces provinces ont une aversion viscérale et ancienne pour les persécutions religieuses, pour autant du moins que les « hérésies »
ne touchent pas à l'ordre social. Cependant, en 1579, le fragile arrangement se disloque. Les tensions religieuses apparaissent les plus fortes : les provinces du sud, lassées de la guerre, se réconcilieront avec le roi d'Espagne, et deviendront sous les Habsbourg[5] un bastion de la Contre-Réforme[6], tandis que les Provinces Unies du nord gagneront leur indépendance dans le calvinisme et deviendront la Hollande du XVIIe siècle, l'un des Etats les plus puissants et les plus brillants d'Europe. L'entité géographique et culturelle éclate donc en deux Etats de confession différente.