Critique de Weber et conclusions
Au XIXe siècle, la relation entre protestantisme et essor économique était un lieu commun tout comme l'était la relation entre essor économique et capitalisme. Cette idée d'une adéquation entre protestantisme, progrès et capitalisme était présente dans tout le monde protestant de la Suisse aux États-Unis. Max Weber, en cherchant à en comprendre et en expliquer le fonctionnement, le moteur interne, a mis en évidence les éléments d'une réflexion qui jusque-là était avant tout identitaire et prisonnière des querelles confessionnelles.
En faisant cela, il a permis (sans le vouloir sans doute) le questionnement systématique du lien entre protestantisme et capitalisme, ce que ne manqueront pas de faire des dizaines d'auteurs en répondant à la thèse de Max Weber. Voilà donc un paradoxe de taille, comme le soulignait judicieusement Philippe Besnard en 1970 : la thèse de Weber liant protestantisme et essor économique ouvre en fait sur une remise en question à large échelle de ce rapport de causalité.
La principale critique tient au fait qu'il y a du capitalisme avant la Réforme et hors de la sphère d'influence du christianisme. « En réalité, il n'y a ni coïncidence géographique ni coïncidence chronologique entre l'extension du calvinisme et l'essor du capitalisme », nous dit Philippe Besnard dans sa synthèse sur la controverse autour de l'œuvre de Weber. Un bon exemple est celui de l’Écosse, qui ne connaît pas de développement capitaliste fulgurant malgré son passage au protestantisme d'influence calviniste dès 1560.
Se pose aussi la question de savoir si ce n'est pas plutôt le capitalisme qui favorise le protestantisme (c'est-à-dire l'inverse de la thèse de Weber). Le capitalisme prend naissance avant la Réforme sur les routes de commerce, comme l'a démontré une historiographie avec laquelle Max Weber est parfaitement en phase. Le développement du protestantisme – comme de pratiquement toutes les idées nouvelles – suit aussi les routes du commerce international, tout simplement car les échanges commerciaux favorisent les échanges d'idées. On pourrait dire ainsi que l'implantation d'une éthique de vie capitaliste dans des lieux donnés a favorisé la transformation de la théologie. À l'inverse, la Contre-Réforme, par des mesures autoritaires et par son hostilité de fond aux changements, aurait chassé des terres catholiques les entrepreneurs capitalistes, arrêtant ou ralentissant ainsi le développement dans certaines nations catholiques. On peut penser bien évidemment à l'Italie, dont certaines villes étaient au Moyen Age les premières capitales du capitalisme naissant.
Mais ces différentes critiques n'entament pas le fait qu'il y a un moment chronologique, entre le XVIIe et le XIXe siècles suivant les régions, où les territoires protestants sont extrêmement dynamiques du point de vue économique. Elles ne répondent pas non plus à la question de savoir pourquoi les protestants du XIXe et du début du XXe siècles sont eux-mêmes persuadés que leur religion est source de développement matériel et de progrès dans tous les domaines de la société.
On le voit, la thèse de Weber pose plus de problèmes qu'elle ne donne de réponses. Weber prend au sérieux, dans sa méthodologie de recherche, tout à la fois des représentations du monde, des appareils théologiques et plus généralement les relations entre culture et religion. Oui, ces aspects comptent dans le devenir des êtres et des groupes humains, et c'est le travail des sciences humaines et de l'histoire de continuer à chercher à les expliquer.