Les spécificités de l'éthique chrétienne des affaires
Comme nous l'avons vu, il est impossible de donner une description précise de l'enseignement social de l'Église. Quelques constantes se dégagent néanmoins des différents documents. L'enseignement traditionnel qu'elle professe reconnaît le mérite de l'entreprise tout en insistant sur la nécessité pour ses dirigeants de la concevoir comme une « communauté de personnes », avec des devoirs : participation des salariés à la vie de l'entreprise, politique de formation, partage des profits, salaire équitable (juste rémunération du travail) et reconnaissance de l'activité syndicale. En fonction des conjonctures et de la personnalité des acteurs aux commandes, les associations s'inscrivent dans ces grands principes. Les axes qu'elles développent sont dépendants de l'actualité politique et économique : la défense du corporatisme dans les années 1940, la mise en place de concertations sociales dans l'entre-deux-guerres, la lutte contre la corruption dans les années 1980 en France.
Force est de constater lorsqu'on lit les discours émis par ces associations leur forte résonance avec les textes cléricaux. S'y ajoute une dimension très opérative, un fort attachement aux aspects pratiques et concrets de la mise en place de ces principes. Cet aspect est très présent dans une interview de chefs d'entreprise français publiée dans le journal La Famille chrétienne de 2003 :
D'une certaine manière, la religion donne un supplément d'âme à des pratiques dont « l'humanité » ou la « bonté » ne sont pas obvies. Pour résoudre ces incohérences, les patrons veulent « humaniser » l'entreprise et les affaires, ce qui passe par une sortie de l'anonymisation des individus à la faveur d'une prise en compte de la personne. Pour les patrons, il s'agit de faire régner les valeurs chrétiennes dans la vie sociale au bénéfice du salut de leur âme. L'humanisation des finances et des affaires ne suppose pas de remettre en question un système qui, bien utilisé, est censé être favorable au bien commun. C'est ce que l'on peut lire dans la Charte de l'Association chrétienne des dirigeants et cadres belges publiée en 2019 .
Les associations de patrons ont pour but d'articuler foi et pratique d'entreprise ; vie spirituelle et matérielle. La dichotomie intrinsèque de ces deux mondes passe par la résolution d'une tension identitaire entre les sphères sociales spirituelle et professionnelle. La tension peut prendre la forme d'une véritable dissonance cognitive. Les associations patronales ont notamment pour but d'adoucir ce conflit en créant une dynamique où se met en place une sociabilité, une communauté et où s'élabore un discours expert au plan à la fois religieux et économique. Ces communautés exigent de leur membre un réel engagement, une implication effective en termes de participation à des cercles d'études et à des congrès qui visent à tisser des liens forts entre les membres.