L'histoire des associations chrétiennes de patrons
Il faut attendre l'après-Première Guerre mondiale pour que les patrons, industriels et entrepreneurs s'organisent en associations. Au XIXe siècle, certains s'engagent déjà pour la défense des conditions de vie et de travail des ouvriers et ouvrières, mais ils le font à titre individuel ou local et dans un esprit très paternaliste. Pour beaucoup, la clé de la question sociale est la moralisation du monde ouvrier et la religion doit agir comme un outil d'apaisement social. Le projet d'une association professionnelle est impensable pour des hommes qui agissent et fonctionnent d'une manière très individuelle et qui ne se ressentent pas comme faisant partie d'une catégorie professionnelle distincte. Les premières associations patronales à dimension nationale sont créées pendant ou après le premier conflit mondial : aux Pays-Bas en 1915, en Belgique en 1921 et en France en 1926.
Ces associations sont galvanisées par le climat patriotique et le désir de reconstruction de l'époque. Mais deux autres facteurs expliquent leur création. Le premier est la naissance de l'Action catholique. Cette dernière vise à organiser et encadrer des mouvements de masses issus du laïcat[1] en fonction des catégories sociales, professionnelles, générationnelles et de sexe : les indépendants, les étudiants, les jeunes ouvriers, les agriculteurs, etc., avec chaque fois leur correspondant féminin. Ces organisations ne visent toutefois évidemment pas à reproduire un système basé sur les classes sociales qui opposeraient les exploités et les exploiteurs – le concept de lutte des classes est proscrit. Au contraire, il s'agit de construire la société à l'image d'un corps humain dont chaque groupe correspond à un organe et est dépendant l'un de l'autre, ce qu'on appelle l'organicisme. Le système se met en place pour remédier au découpage paroissial qui prédominait jusqu'alors est mis à mal par l'expansion urbaine et à l'industrialisation. Le deuxième facteur déterminant dans la mise en place d'associations à dimension nationale est une évolution de la mentalité des patrons chrétiens. La plupart d'entre eux ont réalisé que les mesures paternalistes ne fonctionnaient pas et qu'il fallait donner aux ouvriers et ouvrières les moyens de s'émanciper par eux même. L'objectif devient alors de mettre en place des structures intermédiaires ou mixtes qui ont pour mission le dialogue entre patrons et ouvriers. L'initiative peut venir des clercs, comme en Belgique, ou du laïcat, comme en France.
Il est évidemment difficile de dresser un tableau complet de toutes les activités, prises de position et actions des différentes associations en France et en Belgique. D'un point de vue pratique, dans les grandes lignes on dira qu'elles ont pour objectif de :
Créer du lien et une identité commune entre les patrons et inciter ceux-ci à s'engager, à être militants ;
Faire circuler des informations utiles en termes de législations et de bonnes pratiques parmi les patrons ;
Se positionner par rapport à la législation dans les matières de droit du travail. Ce positionnement peut se faire, en fonction des traditions nationales ou régionales et en fonction des périodes, par le moyen du lobbying auprès des hommes et femmes politiques ou auprès des conventions collectives de travail (auxquels certains patrons peuvent participer). Notons que cet axe plus politique peut se trouver en tension avec celui qui vise à
Intensifier la vie spirituelle des patrons. Les recherches menées sur le sujet montrent qu'il s'agit d'une catégorie socioprofessionnelle particulièrement jalouse de son autonomie, y compris par rapport à l'Église. À l'Église, les patrons reprochent volontiers une méconnaissance des affaires économiques et une prédilection pour la classe ouvrière, surtout dans les années 1960.
Quelles sont les manières utilisées par les associations pour atteindre ces objectifs ?
Les cercles d'études dans les sections locales
Les formations continues pour les patrons
La publication de revues
La publication de très nombreux essais rédigés par les patrons
Les Congrès nationaux et internationaux (journées patronales)
En 1931, est fondée L'Union internationale des associations patronales chrétiennes, appelée alors « Conférences Internationales des Associations de Patrons Chrétiens ». Elle regroupe au départ des associations de patronats chrétiens de France, Belgique et Hollande (avec des observateurs de l'Italie, Allemagne et Tchécoslovaquie). Après la guerre, l'UNIAPAC s'est élargie aux autres pays européens de l'Ouest et en Amérique latine. Quatre ans après la fin de la guerre, elle change son nom en « Union Internationale des Associations Patronales Catholiques » avec les initiales UNIAPAC. En 1962, l'UNIAPAC devient une association œcuménique sous la nouvelle dénomination « International Christian Union of Business Executives » conservant son logo UNIAPAC. Dans les années 1990, l'UNIAPAC s'élargit à des associations d'Europe de l'Est et depuis 2009 ans elle a créé 13 associations en Afrique regroupant 500 chefs d'entreprises africains. À ce jour, l'UNIAPAC regroupe des associations patronales chrétiennes dans 35 pays, représentant 16 000 chefs d'entreprise dans le monde.
À titre indicatif, en Belgique francophone, l'Association chrétienne des dirigeants et cadres (ADIC) revendique 400 membres actifs. En Flandre, l'Algemeen ChristelijkVerbond van Werkgevers (ACVW) (1925–1962) est devenue ETION - forum voorgeëngageerdondernemen. L'association a abandonné toute référence au christianisme et revendique 4 000 membres. En France, le Centre français du patronat chrétien regroupait 16 000 membres avant-guerre, 5 000 durant les années 1960, moins de 2 000 pendant les années 1970-1990, mais presque 3000 en 2017.