Introduction
Sans vouloir faire l'apologie du Liban, il est néanmoins indiscutable que l'espace multicommunautaire reflétant son « vivre ensemble » en a fait un laboratoire culturel dont les productions ne cessent de surprendre les observateurs. Le dernier film de Ziad Doueiry « L'insulte » primé à la Mostra de Venise à la mi-septembre 2017 et nominé aux Oscars en mars 2018, en est une illustration. Comme ses voisins, le Liban, ancien territoire de l'Empire ottoman, puis territoire français est un jeune État (1920) en quête d'identité nationale. Il a dû au cours de son histoire braver plusieurs troubles confessionnels[1] qui lui ont permis d'exister tant bien que mal en tant qu'État-Nation. Cette équation complexe a permis le foisonnement culturel surtout à la fin des années 1950. Le trio composé de Fayrouz[2] et des frères Rahbani[3] représente un symbole national dans cette quête d'identité. Comme l'indique Henri Zoghaib dans sa biographie consacré aux Rahbani : [...] En fait, ce ne sont pas les deux frères Rahbani seulement qui sont indissociables, mais aussi le trio même Rahbani-Feyrouz. Et c'est cette formule différente qui a donné une identité musicale non pas uniquement au paysage culturel libanais mais plus vaste encore, au paysage musical arabe. Et l'apport de ce trio est tellement essentiel qu'il est déjà un patrimoine qui laissera longtemps ses empreintes sur le legs musical et théâtral au Liban et ailleurs.
Fayrouz (litt. « Turquoise ») est le nom de scène de Nouhad Haddad, née en 1934 au Liban. À la fin des années 40, elle est remarquée par Halim el Roumi, directeur d'une radio libanaise, la Radio du Proche-Orient (Mahattat el Chark el Adna), qui lui fait passer une audition en solo. Suite à son interprétation, jugée époustouflante, de deux chansons venues du Caire (Ya Nour Fouadi/Ô feu de mon cœur de Asmahan[5] et Zahratan fi Khayali/Une fleur dans mon imagination de Farid el Attrache[6]), elle est engagée comme soliste... Halim el Roumi lui compose des chansons et elle commence à être très appréciée des auditeurs. Malgré cette percée, Nouhad Haddad ne change pas son style de vie, ce qui est inhabituel dans ce milieu ; elle est plutôt sérieuse et réservée pour une chanteuse de cette époque. Celui qui fera d'elle une vraie « diva », travaille aussi à la radio, il s'appelle Assi Rahbani. C'est Halim el Roumi qui lui présente Fayrouz. Cette rencontre va bouleverser le destin de Fayrouz et des frères Rahbani) et contribue à renouveler profondément la chanson orientale. Comme l'affirme Ziadé Lamia auteure d'une biographie de Fayrouz, les frères Rahbani « trouvent en Nouhad l'instrument indispensable à leur quête, la révélatrice de leur génie, l'interprète de leur révolution ». Ce trio amène sur la scène libanaise un nouveau style musical : « un mélange de musique traditionnelle arabe, de folklore libanais et d'influences occidentales ou latino-américaine ». Assi Rahbani épouse Nouhad en 1955 et la collaboration s'intensifie. |
Cette collaboration presque fusionnelle avec son mari est chapeautée par son beau-frère. La carrière de Fayrouz est alors lancée. Cette dernière devient un des symboles du Liban dans un environnement instable et fait aujourd'hui partie de son patrimoine culturel. A travers sa collaboration avec plusieurs poètes et auteurs libanais – dont surtout les frères Rahbani – elle participe à construire l'unité libanaise en affichant un patriotisme engagé tout en refusant de choisir un camp qu'il soit politique ou communautaire.
Est-ce que chanter peut rapprocher de Dieu ? Est-ce que chanter l’Éternel est le célébrer comme le sous entend le psaume 104 : « Je chante Yhwh à la vie je psalmodie Dieu tant que j'existerai » (Psaume 104 : 33) ? Dans l'histoire des religions, on peut dire que le chant est important puisqu'il permet de transmettre un message, et parfois d'élever les âmes. Le pouvoir exercé par le chant peut s'avérer déterminant puisqu'il peut toucher le cœur, l'âme, l'esprit des individus (en grand nombre). Dans la tradition chrétienne par exemple, le chant accompagne la liturgie. Le son, les vibrations, les mélodies... sont autant de facteurs qui donnent le sentiment d'expérience mystique mais le message véhiculé par ces chants augmente cette expérience.
Si les paroles des chansons transmettent un message sacré, ou évoque le divin de manière irrationnelle, dans une foi ou une passion indescriptible, on peut alors parler de chant mystique... On peut donc dire que le chant possède un pouvoir mystique. Dans le cas de Fayrouz, c'est l'interaction entre sa voix envoûtante, ses textes, ses interprétations et le son oriental qui donne un pouvoir mystique à ses chants. Après avoir tenté d'établir un lien entre chant et pouvoir mystique, je tenterai d'analyser à travers quelques textes de ces chants la place de la mystique.
Les chants choisis :
Par les frères Rahbani
Ya Sakan el ‘ali (Ô père céleste), extrait de la pièce Ayam Fakherdinn (Les jours de Fakhreddin[7]), par les frères Rahbani, Festival de Baalbeck, 1966.
Zahrat el Madaen (La ville sainte), par les Frères Rahbani en collaboration avec le poète Said Akl, Festival des Cèdres[8], 1967.
Sa‘adni Ya nab‘alnaby‘ (Aide moi ô tout-puissant (la source des sources)), extrait de la pièce Jbal al Sawwân (Les Montagnes du silex), par les frères Rahbani, Festival de Baalbeck, 1969.
Autres
Ghannaytou Makkatah (Je chante pour la Mecque), paroles de Said Akl, 1963.
Rabbi Sa'altouka bi Esmihina (Dieu, je te demande), paroles de Rushdi al Maalouf.