Le Ciel et la Terre : Dieu et les Hommes
Ya Sakan el ‘ali (Ô père céleste), extrait de la pièce Ayam Fakherdinn (Les jours de Fakhreddin), par les frères Rahbani, Festival de Baalbeck, 1966
Ayam Fakherdinn est présentée pour la première fois à Baalbeck en 1966. Dans cette pièce Fayrouz joue le rôle d'une paysanne nommée Altra Ayal qui est chargée grâce à sa voix d'unir le peuple par son chant : Je suis l'épée et tu seras la voix (le Liban deviendra la chanson). Dans cette pièce Fayrouz interprète Ya Sakan el ‘ali qui ressemble étrangement à une prière. Elle prie celui qui vit aux cieux. Elle établit une communication avec le père céleste afin de lui demander de « prendre soin de nous et de veiller sur nos maisons » : Ô père céleste veille sur nous (Ya Sakan el ‘ali Toul min al ‘ali), prends soin de nous, de notre terre, ramène nos frères et notre famille (‘aynak ‘alayna ‘ala Aradina, Raja‘ Ikhouatna Wa Ahlina).
Dans ce chant qui ressemble à une prière mais qui est aussi un aveu (l'homme a détruit la terre à cause de la guerre) le message de Fayrouz est de demander pardon à Dieu, miséricorde et protection, l'homme se prosterne en levant les mains comme un arbre sans feuille (Idayyna Marfou‘a Saoubak mtl al Chajar Al ‘arY). Il y a dans ce texte une sorte de crainte de la nuit, de la mort, comme si la terre et les hommes risquaient d'être jugés et punis. Ce texte rappelle que c'est Dieu qui a le pouvoir de pardonner, de protéger mais aussi de punir. Peut-être y-a-t-il une référence ici à l'Ancien Testament Exode 11, 12 (TOB p.91-93), sur les rites de la Pâque, de la fête des pains sans levain et du sacrifice des premiers-nés. Dieu doit être craint et peut s'abattre sur nous. Une deuxième remarque concerne le style, l'interprétation et le rythme du chant qui ressemble étrangement aux psaumes de la Bible comme Psaume 95,6 (TOB p.891-892) « Entrez ! Allons, nous incliner, nous prosterner à genoux devant le SEIGNEUR qui nous a fait ! »
La troisième partie de cette chanson sous forme de vers est en rapport à l'élévation, la paix, la lumière : Nos portes sont ouvertes à la lumière et à la paix, Ô père céleste veille sur nous, répands la paix (par la colombe) jusqu'au dernier jour, donne-nous la force de dormir en paix. Il ne fait aucun doute que ce passage fait référence au messager de paix (Jésus qui est lumière et paix). Il y a ici plusieurs références au Nouveau Testament, Jésus est le messager de Dieu qui répand la paix, le pardon et la foi. Fayrouz se substitue ici à la colombe envoyée des cieux par Dieu (Marc 1.9). Elle retransmet également un message aux cieux, en demandant la protection sur son peuple, elle la colombe qui va ramener la paix, unir son peuple grâce à la protection du père céleste.
Sa‘adni Ya nab‘ alnaby‘ (Aide-moi, ô Tout-Puissant (la source des sources)), extrait de la pièce Jbal al Sawwân (Les Montagnes du silex), par les frères Rahbani, Festival de Baalbeck, 1969
Ce chant est extrait de l'œuvre théâtrale, Jbal al-Sawwân (Les Montagnes du silex). Cette pièce traite du pouvoir, de la résistance et de la fermeté dans l'engagement à une époque où les tensions sont de plus en plus vives au Liban. Les montagnes du silex sont occupées par le Fâtek[1] et les habitants attendent leur sauveur qui n'est autre que Ghorbi (Fayrouz) qui a la lourde tâche de poursuivre la mission inachevée de son père, celle de rendre Jbal al-Sawwân aux paysans. Cette pièce tourne autour de la terre occupée, de l'homme et du sauveur, thèmes dont le sens mystique est clair. Dans le chant Sa‘adni Ghorbi (Fayrouz) prie Dieu de l'aider afin d'accomplir sa mission et de rendre la sérénité et la gaieté aux montagnards qui l'ont aimée autant qu'elle aime la terre, Dieu et les hommes. Fayrouz se présente comme disciple du Tout-Puissant : je suis ton disciple et je prêche ta parole (grâce à ton amour et ta générosité). La référence à l'eau qui nourrit les bergers et les animaux est essentielle dans ce texte. Ces références rappellent plusieurs passages dans la Bible, à la fois dans l'ancien testament et dans le nouveau testament. Mais le point à souligner est la référence à la source. Jésus est source de l'eau vive puisqu'il se désigne comme source de la vie. Ce n'est pas l'eau matérielle qui nourrit les hommes et la terre mais l'eau spirituelle qui nourrit l'âme (Jean 5:26 : Comme le Père a la vie en Lui-même, ainsi il a donné au Fils d'avoir la vie en Lui-même. Voir aussi Jean 14:6 Jean 3:16) ; oui l'eau c'est la vie mais c'est la source de vie au cœur du croyant, c'est la croyance spirituelle, c'est la foi. Dans ce chant, encore une fois la colombe est mentionnée, comme lors du baptême de Jésus dans le Jourdain, or le baptême symbolise la vraie naissance, en tant que fils ou fille de Dieu. De l'eau viendra le salut puisque les croyants attendent le sauveur afin qu'ils sortent de la misère... je suis ton disciple et ma mission (grâce à ma foi) est de répandre l'amour de Dieu. Aide-moi, le tout-puissant (source des sources).
Fayrouz est représentée par les Rahbani comme la femme idéale, la promotrice de paix qui reflète la sagesse et le bon sens de la majorité populaire. On a l'impression qu'elle a une mission : celle de prêcher l'amour, d'instaurer la paix, de sauver le peuple et de prier Dieu. Serait-elle une messagère de Dieu ? La mise en scène des Rahbani joue sans doute un rôle central dans les chants de Fayrouz mais c'est son interprétation et sa voix qui parvient à son auditeur. Dans les pièces musicales des Rahbani, Fayrouz joue un rôle, elle est une actrice qui chante dans un spectacle de folklore libanais mais en dehors des représentations théâtrales elle est aussi l'interprète de chansons à thème dont les messages sont aussi engagés.