L'Etat islamique selon les Feda'iyan
Même si les Feda'iyan semblent avoir été davantage dans l'action que dans l'élaboration d'une doctrine politico-religieuse, quelques traits caractéristiques de leur conception de la relation entre religion et politique ressortent. Accusant les ulémas de faire le jeu des oppresseurs et des ennemis de l'islam, ils leur reprochent leur quiétisme et appellent à une réforme profonde des cursus d'enseignement des séminaires religieux. De concert avec les Frères musulmans, leur conviction est que l'islam peut régir tous les aspects de la vie et ne doit pas être réduit à la sphère privée. Leur programme appelle à un retour à des « lois islamiques pures » et à la fin de la mainmise occidentale. Navvab Safavi est le premier à utiliser le terme hukumat-i islami[1] . Dans son discours, tout ce qui est islamique est « idéal », en opposition à ce qui n'est pas islamique, perçu comme « servile » et « méprisable ». Dans ce document, rédigé en 1950, il présente un programme de ce que doit être ce gouvernement. L'influence de Hassan al-Banna sur sa pensée apparaît nettement. Il plaide pour une islamisation complète et systématique du gouvernement et de ses différents départements. Toute sa pensée se trouve résumée dans son Guide des Vérités, également appelé « Petit révélateur des Vérités lumineuses du grand monde », ouvrage comprenant deux parties : l'une appelée « Constats » et l'autre « Solutions proposées ». Sans constituer un programme d'action précis, il révèle les réflexions de son auteur sur l'Etat islamique idéal.
Son texte ne contient aucune mention du sunnisme ; en revanche, à divers endroits, une nette empreinte chiite apparaît : 1- le clergé doit être « épuré » et il faut relever son niveau d'instruction ; le mariage provisoire[2] être remis à l'honneur ; la monnaie doit être frappée « au nom de l'Imam du temps[3] » ; le Shah doit être chiite et prendre « ‘Alî[4] pour modèle ».
Une certaine obsession de ce que Safavi considère être la « décadence des mœurs » revient à diverses reprises dans son texte, sous la forme de condamnations de ce qu'il nomme la « débauche sexuelle », le « déchaînement de l'instinct sexuel » et les « débordements sensuels ». A plusieurs reprises, il met l'accent sur « les racines de la destruction » du pays en insistant sur des thèmes comme la « luxure » (chahwat), la « prostitution » (fahchâ'), la « nudité » (‘aryân) et la « chasteté » (‘iffat). Dans cette perspective, la mixité et tous les lieux qui peuvent l'encourager doivent être interdits, à l'instar des cinémas, considérés comme une « école du vice ». En outre, la mixité doit également être supprimée dans l'enseignement et la prière doit être instaurée à l'école.
D'autres mesures, tout aussi radicales, sont prônées et les différents ministères et cadres législatifs proposés s'inspirent tous de l'islam, d'un islam intégral pouvant répondre, selon la conviction de Safavi, à tous les enjeux moraux, économiques, judiciaires et politiques de la société iranienne. Si Safavi envisage des élections, elles doivent selon lui être exclusivement ouvertes à des musulmans « pieux », qui seraient mis sous la supervision d'une assemblée de chefs religieux veillant à ce que leurs activités soient conformes à l'islam.
Pour parvenir à cette idéal, marginalisés par la classe religieuse et déçus par des alliances politiques sans lendemain, les Feda'iyan adoptent un mode d'action violent, qui vise les représentants d'un régime mettant en œuvre des mesures jugées contraires à l'islam et prônant des idéaux séculiers.
Malgré la courte existence de ce mouvement et la disparition de son fondateur, survenue plus de 20 ans avant la mise en place d'un régime islamique en Iran, certains voient en lui l'un des principaux artisans du développement du caractère islamique de la Révolution iranienne. D'ailleurs, après la Révolution de 1979, les Feda'iyan sont remis à l'honneur, notamment via des publications de l'Armée des Gardiens de la Révolution , qui chantent leur geste héroïque dans leur organe de référence intitulé Message de la Révolution (Payâm-e enqelâb). Une station de métro, à Téhéran, porte le nom de Navvab Safavi et différents ouvrages et sites parrainés par la République islamique iranienne retracent sa vie