Naissance d'un mouvement islamiste
Le mouvement des Feda'iyan-e islâm naît en 1945. Il n'existe pas de chiffre exact sur le nombre d'adhérents au mouvement. Ils semblent avoir été quelques centaines – mais ce chiffre évolue en fonction de leurs actions d'éclat et de leurs alliances politiques. Le mode d'action, violent, s'explique en partie par une réaction de rejet de la « modernité », alors encouragée sinon imposée par le régime des Pahlavi[1] et qui touche autant les sphères jugées privées telles que le dévoilement des femmes ou la mode vestimentaire, que le domaine public comme la réglementation des études en sciences religieuses.
L'exécution en 1955 de son fondateur , sayyed[2] Mojtaba Mirlowhi[3], connu sous le pseudonyme de Navvab Safavi[4] , met fin aux activités du groupe. Après avoir obtenu son diplôme, il travaille dans l'industrie du pétrole, alors largement dominée par les Britanniques, dans la région d'Abadan, au sud ouest de l'Iran. Il assiste au tabassage d'un employé iranien par son patron ; en signe de protestation, il organise une grève et une manifestation suivies d'une confrontation avec la police. Craignant des représailles, il se réfugie à Nadjaf en Irak où il assiste à des cours dispensés par les ayatollahs[5] Kâshif al-Ghitâ'[6] et Abdul-Hussein Amini[7] . C'est pendant cet exil qu'il lit l'ouvrage de l'historien Ahmad Kasravi[8] , très critique à l'égard de l'islam et du chiisme. Navvab Safavi, que cette lecture met hors de lui, demande aux ulémas leur opinion sur Kasravi et s'entend répondre qu'une telle personne « mériterait de mourir, selon la loi islamique ». Certains d'entre eux l'encouragent même à passer à l'acte en lui offrant un soutien financier. D'après Yann Richard, l'ayatollah Abdul-Hussein Amini[7] aurait même émit une fatwa condamnant Kasravi, appuyant ainsi le projet de Safavi d'attenter à la vie de l'intellectuel.
Photo de Mojtaba Mirlowhi alias Navvab Safavi Source : Sayyed Hadi KHOSROSHAHI, Feda'iyan-e islâm. Târîkh, amalkardeh, andisheh, Téhéran, Intisharat ittilaat, 2014. | Carte du Moyen-Orient Source : Sébastien Angonnet |
Après plus de trois ans d'exil irakien, Safavi revient en Iran où il entre en contact avec Kasravi pour le persuader d'abandonner la diffusion de ses idées, sans succès. Il passe alors à l'action violente : une première tentative d'assassinat de l'historien échoue et Safavi est emprisonné puis relâché sous la pression des autorités religieuses.
C'est après sa sortie de prison que Safavi fonde, en 1945, la jama‘at[9] Feda'iyan-e islâm. Dans un communiqué intitulé « Religion et vengeance », il explique que l'islam est attaqué et promet de « venger » ces attaques. En mars 1946, plusieurs membres des Feda'iyan[10] , dont Sayyed Hossein Imami[11] , parviennent à assassiner Kasravi. Arrêtés, ils sont cependant rapidement relâchés sous la pression, encore une fois, de cercles religieux de Qom et de Nadjaf, et notamment de l'ayatollah Abou-l-Qassem Kashani[12] et de l'ayatollah basé à Nadjaf Hajj Agha Hussein Qommi[13] . Après cet évènement, le mouvement s'implique davantage en politique et collabore avec l'ayatollah Kashani. Elu membre du Parlement iranien, ce dernier est exilé à Qazwin en 1946. Les Feda'iyan n'ont de cesse de réclamer son retour jusqu'en 1948.