Une compréhension du rapport homme-femme qui tend vers l'égalité
Dans le domaine du cadre sociétal et public, ou la gestion politique, tout d'abord, Asma Lamrabet s'étonne de la marginalisation de certaines idées du Coran, qu'elle place parmi les principes clés du respect de l'autre et des valeurs humaines, à savoir l'union et l'alliance entre les personnes, hommes et femmes, la recherche du « Bien commun », ainsi que la liberté d'expression. Elle constate que si l'exégèse classique ne reconnait que l'égalité spirituelle, la contemporaine corrobore le concept de coresponsabilité et d'implication sociopolitique conjointe.
Elle conteste une interprétation du concept Qiwama qui est derrière l'idée préconçue de supériorité absolue de l'homme. Pour ce faire, elle insiste sur l'aspect polysémique du terme qawwâmûn, mais sans lui accorder le sens de « supériorité ». Au verset coranique utilisé pour justifier la suprématie de l'homme, elle en oppose trois qui lui servent de point de départ pour séparer la vie privée et la vie publique de l'individu. Dans deux versets, écrit-elle, le « message divin » exhorte aussi bien les femmes que les hommes au respect des valeurs comme la justice, l'équité, l'impartialité et la piété. Dans le troisième, qui concerne le contexte familial voire intime, il s'adresse plus particulièrement aux hommes. L'idée d'al-Qiwama, dans ce troisième verset, peut vouloir dire veiller à l'accomplissement d'une chose, protéger et préserver les intérêts d'autrui. Al-qawwâmûn signifierait, en l'occurrence, que les hommes doivent subvenir aux besoins matériels des femmes et veiller à leurs intérêts, mais en aucun cas un droit divin de l'emprise des hommes sur les femmes promu par plusieurs commentateurs du Coran.
Asma Lamrabet explique que cette perception courante a permis la prolifération d'une littérature dévalorisante et a « entravé la mise en œuvre juridique et sociale de l'esprit libérateur du message coranique concernant les femmes... ». Elle réclame une réinterprétation du concept étant donnée la coresponsabilité financière qui incombe au sein des familles à l'époque contemporaine. Elle ne cesse de dénoncer le problème de l'inégalité dont est victime la femme musulmane, « justifiée au nom du religieux » et s'interroge avec une certaine amertume sur cette réalité qui contraste avec ce qu'elle saisit dans les faits et dits du prophète Muhammad, d' « incroyables espaces de liberté, alors qu'aujourd'hui ces mêmes espaces sont tout simplement de l'ordre de l'inconcevable dans la majorité des communautés musulmanes. »
Afin de compenser la rareté des données concernant les contributions féminines, Asma Lamrabet consacre une partie de ses écrits à des femmes qui ont marqué l'histoire des sciences islamiques. Elle dédie l'intégralité d'un livre à ‘Aïcha, la plus jeune des épouses de Muhammad et sa préférée, « dont la vie, le parcours, le cheminement sont, dit-elle, un exemple à méditer et à suivre à plus forte raison dans notre contexte actuel ». Elle cite la défense du droit de la femme à l'éducation de la part d'une femme qui apprit la langue arabe et la poésie dès son plus jeune âge. Elle insiste sur sa place dans la transmission des faits et dits attribués à Muhammad. Elle rappelle que la tradition sunnite considère qu'‘Aïcha a eu le privilège d'assister à des moments de la « Révélation divine » et qu'elle a partagé les derniers moments de sa vie ce qui lui donne une place à part dans le champ de la connaissance des « circonstances de la Révélation » et donc de l'interprétation du Coran. Elle indique qu'‘Aïcha joua un rôle de jurisconsulte et de stratège militaire, notamment après la mort de Muhammad. Elle la décrit comme une ardente opposante au calife Mu'âwiyya[1] parce qu'il instaura une sorte de monarchie héréditaire. Ainsi, se « réapproprier l'Islam féminin de ‘Aïcha, conclut Asma Lamrabet, c'est contribuer avec l'homme musulman, à la renaissance de cet islam à visage ‘humain' qui est l'essence de cette religion. »
Dans un autre ouvrage, intitulé Le Coran et les femmes, Asma Lamrabet cite d'autres figures qui incarnent autant des symboles de vertu que de souffrance. Le point qui les unit est leur féminité. Elle est subjuguée par la sagesse et l'intelligence de la reine de Saba, dénommée Bilquiss. Ou encore par la figure de Marie en qui elle voit l'incarnation de la perfection éternelle. Elle se réjouit de la glorification de la mémoire d'Agar, mère d'Ismaël, fils d'Abraham que ce dernier abandonna en plein désert. En proie à la faim et à la soif, rapporte la tradition musulmane, Agar ne sut que faire et se mit à courir entre deux monts. Son geste constitue l'un des piliers du pèlerinage. Aussi, l'auteur dit : « Pourrait-on imaginer rendre plus bel hommage à un être humain que celui de célébrer sa mémoire de la sorte ? »