Femmes et religions : portraits, organisations, débats

L'égalité des sexes en christianisme : pages d'une histoire contrastée

Quelques attitudes médiévales et modernes

Si l'on veut évaluer la position accordée aux femmes dans l'histoire du christianisme, il importe de ne pas se contenter de généralités. Une première constatation s'impose néanmoins : globalement, en matière de relations sociales entre les hommes et les femmes, le christianisme a hérité des traits caractéristiques de chacune des sociétés dans lesquelles il s'est développé et les a fait siens. S'il a infléchi ces traits caractéristiques, c'est dans un sens plutôt favorable aux femmes.

Prenons-en un exemple. On sait que dans le monde grec et romain de l'Antiquité, la femme n'est quasiment jamais considérée comme un individu valant autant que l'homme. Aristote[1] considérait ainsi qu'une femelle (toutes espèces confondues, donc aussi chez les humains) est un mâle manqué (Politique I, 12). Or, malgré quelques exceptions, cette compréhension traverse toute la littérature chrétienne de l'Antiquité (la « patristique[2] ») et du Moyen Age latin : les auteurs chrétiens rappellent par exemple à l'envi qu'Adam ayant été créé avant Eve, cela confère à l'homme une prééminence sur la femme. L'un des plus grands théologiens scolastiques[3] , Thomas d'Aquin[4] , cite ainsi Aristote dont il partage la vision des femmes comme d'êtres qui sont, d'une certaine manière, déficients. Cela étant dit, le christianisme ancien n'a jamais admis la polygamie et a toujours considéré que la femme valait, devant Dieu, autant que l'homme. Ainsi, on ne trouve aucun théologien ni aucune autorité ecclésiastique, que ce soit dans l'Antiquité ou durant le Moyen Age, qui affirmerait que la femme n'a pas d'âme, ou qui mettrait même la chose en doute : contre ce que prétend une légende tenace dont on entend encore parfois des échos XXIe siècle, à propos d'un concile de Mâcon au VIe siècle de l'ère chrétienne, la question de savoir si la femme a ou non une âme n'a jamais fait l'objet d'un débat.

Cette égalité fondamentale vis-à-vis des réalités divines n'a cependant pas été traduite en une égalité sociale ou politique. S'il est vrai qu'on trouve au Moyen Age nombre de femmes qui détiennent une part de pouvoir (des reines ou des abbesses[5] , par exemple), il est impensable, dans la société médiévale, de laisser une femme entrer à l'université pour y faire des études ou de la laisser accéder aux professions considérées comme supérieures du point de vue des compétences requises ou du prestige qui leur est attaché, comme celles de prêtre, de médecin ou de juriste.

Certes, on trouve des femmes, mieux connues par les recherches historiques menées depuis quelques dizaines d'années, qui vont jusqu'à contester le principe selon lequel elles devraient en toute chose obéir aux ordres masculins. Une fameuse abbesse du XIIe siècle, Hildegarde de Bingen[6] , est l'une de ces voix discordantes. Telle une nouvelle Antigone[7] , elle s'élève par exemple en 1179 contre la hiérarchie ecclésiastique (en l'occurrence des chanoines de Mayence) qui lui ordonne de faire enlever le corps d'un défunt du cimetière de son abbaye. Ce faisant, Hildegarde ne remet toutefois en question ni le principe de la hiérarchie dans l’Église, ni le fait que le clergé[8] soit réservé aux hommes. Au début du XVe siècle, une Christine de Pizan[9] ira plus loin, qui sera l'une des premières à remettre en question l'idée d'une supériorité fondamentale de l'homme sur la femme : la femme, relève-t-elle, n'a-t-elle pas été créée à partir d'une côte de l'homme ? Cela n'indique-t-il pas qu'elle doit se tenir à son côté, non en dessous de lui (comme si elle avait par exemple été créée à partir de ses pieds) ?. Par la suite, on repère ici et là des voix isolées qui défendent l'égalité des sexes. Ce sont généralement des francs-tireurs, comme Agrippa de Nettesheim[10] au XVIe siècle ou François Poullain de La Barre[11] à la fin du XVIIe, qu'il ne faut pas considérer comme s'ils étaient représentatifs de leur temps et dont l'incontestable intérêt a été redécouvert relativement tardivement (dans la seconde moitié, ou même le dernier quart du XXe siècle).

  1. Aristote (384/3-322)

    Philosophe grec du IVe siècle avant l'ère chrétienne qui a abordé et organisé dans sa philosophie tous les domaines de connaissance de son temps. Longtemps oublié en Occident, il fut redécouvert au XIIe siècle, via les penseurs arabes, et a depuis influencé considérablement la philosophie et la théologie chrétiennes.

  2. Patristique

    Ensemble des écrits théologiques de ceux que les Églises chrétiennes reconnaissent comme les « Pères » de l’Église, théologiens des premiers siècles du christianisme, auxquels est reconnue une certaine autorité.

  3. Scolastique

    La théologie scolastique est celle que l'on pratique, dans l'Occident médiéval, dans le cadre des universités. Ses origines remontent au XIe siècle, son apogée est au XIIIe siècle. Elle tente souvent d'exprimer la théologie chrétienne à l'aide de la philosophie aristotélicienne.

  4. Thomas d'Aquin (v. 1224/5-1274)

    Théologien né dans une famille aristocratique du sud de l'Italie. Il entre très jeune au monastère du Mont Cassin, commence ses études à Naples où il entre chez les dominicains et suit à Paris et à Cologne les enseignements d'Albert le Grand. Maître en théologie en 1256, il enseigne dans différents couvents (Paris, Orvieto, Rome, Naples). Son œuvre écrite, considérable, vise à opérer une synthèse entre théologie et philosophie, conciliant foi et raison. Ses thèses sont attaquées de son vivant et certaines sont condamnées après sa mort. Il cependant canonisé en 1323, puis proclamé docteur de l'Eglise en 1567, aux côtés de son contemporain Bonaventure. Les deux théologiens rejoignent ainsi Augustin d'Hippone, Ambroise de Milan, Jérôme et Grégoire le Grand.

  5. Abbesse

    Supérieure d'une congrégation monastique féminine érigée en abbaye (féminin du titre « abbé »).

  6. Hildegarde de Bingen (1098-1179)

    Abbesse de l'abbaye du Rupertsberg (Allemagne) et personnalité d'une grande envergure intellectuelle (compositrice, femme de lettres, théologienne mystique, médecin, botaniste etc.).

  7. Antigone

    Personnage de la mythologie grecque. Elle contrevient délibérément aux ordres du roi Créon et rend les honneurs funéraires à son frère Polynice mort en tentant de reprendre le trône de Thèbes. Elle est condamnée pour sa désobéissance à être enterrée vivante et se pend dans son tombeau.

  8. Clergé

    Ensemble des membres de la hiérarchie ecclésiastique chrétienne : évêques, prêtres, diacres etc..

  9. Christine de Pizan (v. 1363-v. 1430)

    Écrivaine, femme de lettres française d'origine italienne. Elle est l'auteure de nombreux ouvrages moraux, poétiques, historiques, notamment de la Cité des dames, dans laquelle elle défend les femmes.

  10. Agrippa de Nettesheim (1486-1535)

    Médecin, alchimiste et philosophe allemand (1486-1535). Auteur du De nobilitate et præcellentia foeminei sexus (De la noblesse et de la supériorité du sexe féminin, écrit en 1509 et publié en 1529).

  11. François Poullain de La Barre (1647-1725)

    Philosophe et écrivain français. On lui doit plusieurs ouvrages dans lesquels il défend prudemment l'égalité entre hommes et femmes, notamment en De l'égalité des deux sexes. Discours physique et moral où l'on voit l'importance de se défaire des préjugés (1673).

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