Pour une nouvelle démarche scientifique et une relecture des rapports entre science et religion
Les éditoriaux couvrent ordinairement une page ou un peu plus, ils reflètent les objectifs des fondateurs, montrent leur stratégie, renseignent sur le contenu et permettent d'en faire l'historique. Les responsables de la revue expliquent ainsi qu'avant de s'engager dans l'entreprise, ils ont accumulé un fonds documentaire substantiel. Al-Muqtataf encourage principalement la science telle qu'elle est conçue en Europe et en Amérique, en publiant des faits, des enquêtes ou des résultats produits par des sociétés scientifiques occidentales et en informant sur leurs activités. Le procédé est tout-à-fait original puisqu'il s'agit de faire une sorte de synthèse et de vulgarisation d'un savoir présenté dans des ouvrages et revues spécialisés. Il n'existe donc pas d'équivalent au modèle de cette revue, selon les fondateurs.
Les rédacteurs ont la conviction que l'exposition des vérités scientifiques et leur diffusion sont aussi importantes et nécessaires que leur découverte et leur vérification. Ils font souvent allusion aux multiples revues qu'ils consultent mais sans les citer expressément. Ils abordent tous les secteurs des sciences et de la technologie, tout ce qui relève de l'agriculture, de l'industrie et du commerce. Les sujets relatifs au patrimoine et à la civilisation sont secondaires, même s'ils ne sont pas négligés. A partir du début du XXe siècle, la médecine occupe une place de prédilection et un médecin se charge de la nouvelle rubrique intitulée « Santé et soins médicaux ». Les rubriques pratiques sont nombreuses et en constante transformation. Elles visent à toucher le public qui dispose d'un minimum d'instruction, à les stimuler intellectuellement et à modifier leurs comportements. Ainsi la revue réserve une place pour la correspondance présentée le plus souvent sous forme de questions et réponses : les pratiques domestiques, les affaires relatives à la femme, les conflits et les guerres. Cette diversification vise à satisfaire tous les goûts. Et, pour attirer davantage encore de lecteurs, la revue publie des images, des photos, des esquisses. Les illustrations concernent des personnalités de renom, des sites archéologiques ou, par exemple, de nouveaux instruments technologiques.
A plusieurs reprises, les rédacteurs de la revue déclarent vouloir prendre ses distances avec tout ce qui est susceptible de susciter une polémique, ils entendent se draper dans une neutralité objective. Ils affirment aussi vouloir s'abstenir de traiter directement des questions religieuses. Cependant, ils font une place significative à la théorie de Darwin au cours des deux premières décennies de la publication. Sur ce point précis, un débat oppose Al-Muqtataf à la revue Al-Mashrîq et au journal Al-Bachîr, dirigés par les jésuites, ainsi qu'à des intellectuels musulmans. Accusés d' « impiété », du fait de leur attention positive accordée à la théorie de l'évolution, les rédacteurs d'Al-Muqtataf rétorquent qu'il importe de distinguer les plans entre le scientifique et le religieux. Le vrai mécréant, ajoutent-ils, est le croyant qui accuse l'autre d'impiété.
Au tournant des années vingt et trente, la thématique des rapports entre science et religion est abordée à travers la traduction d'un article d'Albert Einstein intitulé « La religion et la science » paru dans le numéro du New York Times Magazine, le 9 novembre 1930. Les rédacteurs eux-mêmes se prononcent sur des éléments de leur croyance. Dans un article publié en 1928, Yaacoub Sarrouf souligne la grandeur du cosmos et conclut que « l'univers est grand et [qu'] il est nécessaire que le Créateur soit encore plus grand et que sa puissance soit totale, et [que] son œil contrôle toutes les créatures, [...] nous sommes tous découverts devant lui en notre for interne et externe »
. Un an plus tard, il s'interroge sur le mystère de la vie et affirme que « la vie est l'axe principal du mouvement de l'univers et l'esprit du monde proclame l'existence de Dieu vivifiant, puissant et sage selon le principe bien vrai que pour tout effet il y a une cause et pour toute action il y a un agent »
. Il introduit également le principe de la Providence : « le Créateur sage n'a pas seulement créé les existants et les a abandonnés, mais il s'occupe d'eux à tout instant et dans tous les cycles de leur vie. S'il les néglige un seul jour l'ordre de l'univers se dérègle et tout être vivant meurt et ses éléments disparaissent complètement »
. Fares Nimr partage pleinement ces conceptions.