La laïcisation des hôpitaux parisiens à la fin du XIXe siècle
A partir des années 1870, en partie en raison du prosélytisme catholique actif dans les hôpitaux parisiens, les libres-penseurs et les anticléricaux devenus puissants au Conseil municipal de Paris (qui subventionne l'Assistance Publique des hôpitaux de Paris) militent pour la laïcisation des institutions de soin de la capitale. Ils revendiquent notamment la suppression des postes d'aumôniers d'hôpitaux qui s'étaient multipliés sous le Second empire et le départ des religieuses qui, depuis le début du XIXe siècle, dominaient les services intérieurs des hôpitaux français. Le processus se déroule en un peu plus d'une génération, c'est-à-dire un temps bref.
Dès lors, l'aumônier parisien ne peut plus être résident dans l'hôpital, il n'est plus rémunéré mais seulement indemnisé en fonction des actes religieux effectués, il ne peut pas non plus se rendre dans les salles sans un appel formel des malades et sans l'autorisation des médecins. Le conflit entre la municipalité parisienne et les prêtres aumôniers se déplace alors sur la question des sacrements. Afin de placer sous contrôle cette pratique, l'administration met en place un carnet à souche comportant des billets (date, heure, numéro du lit, nom du malade, signature du directeur) qui doivent être remis au prêtre afin d'autoriser son entrée dans la salle. Ce sont deux formes d' « administration » des sacrements qui s'affrontent. La devise républicaine portée sur chaque billet renforce le caractère laïque de la procédure qui, lorsqu'elle est respectée, ce qui n'est pas toujours le cas, conduit de fait à un déclin de la pratique religieuse. Ces conflits participent d'une redéfinition de l'espace symbolique du médical et du religieux. Au même moment, les processions sont interdites dans l'enceinte hospitalière et se recentrent sur l'espace de la chapelle, et la dénomination des salles de malades est modifiée : les noms de médecins et de philosophes des Lumières remplacent ceux des saints et des saintes.
L'épisode, aussi significatif soit-il, est cependant trompeur et impossible à généraliser. Cette conflictualité parisienne ne doit pas cacher la réalité d'une laïcisation hospitalière généralement tranquille. Depuis l'époque napoléonienne le personnel religieux n'a en fait jamais cessé de croitre, souvent au détriment du personnel laïque. En 1914, on compte 40% de religieuses dans les hôpitaux français. Dans certaines régions, comme l'est du Massif central, elles détiennent un quasi-monopole. Dans les dispensaires, les communes rurales, les quartiers ouvriers, elles jouent souvent le rôle de substituts des médecins largement absents. Ce personnel stable et discipliné (dans l'application des règles d'asepsie[1] par exemple) dispose de compétences techniques reconnues. Il apparaît comme un auxiliaire de la médicalisation qui habitue les malades à sortir de l'automédication[2] et à s'abandonner à un tiers pour sa santé. Certains domaines délaissés par l'Etat sont, quant à eux, l'objet d'une spécialisation religieuse tel le soin des aliénés pris en charge par les frères de Saint-Jean de Dieu[3]. La fin du XIXe siècle est marquée par une diversification de cette activité soignante : création de congrégations de gardes malades ou fondation d'hôpitaux privés confessionnels.