L'héritage de pratiques religieuses pluriséculaires
Sous l'Ancien Régime il apparaît difficile de faire la part entre un soin de nature médicale et un soin de nature religieuse. La maladie est souvent considérée comme le fruit du péché ou comme un message adressé aux hommes pour les convertir. L'hôpital est un lieu de charité bien plus qu'un espace thérapeutique. Le recours aux saints guérisseurs est massif dans la population. Enfin il existe une très importante économie cléricale des remèdes. La liqueur de jouvence de l'abbé Soury, une tisane aux vertus miraculeuse contre les problèmes circulatoires, élaborée au milieu du XVIIIe siècle par un chanoine rouennais est reprise par un pharmacien au siècle suivant et connaît un vrai succès qui se prolonge encore au XXIe siècle. Les médecins sont alors peu nombreux (2500 peu avant la révolution française, à comparer aux 25 000 chirurgiens français qui pratiquent au même moment), restent le plus souvent sous la coupe des prêtres, notamment lorsqu'ils se trouvent au chevet du mourant, et sont quotidiennement confrontés à l'omniprésence des religieuses.
La deuxième moitié du XVIIIe siècle voit émerger en Europe occidentale un nouveau modèle médical fondé sur l'observation clinique et anatomique qui transforme progressivement la représentation du corps et les pratiques de santé. La visite médicale au chevet du patient devient le symbole de l'avènement d'un hôpital voué à se transformer en « machine à guérir ». Comme le montre la gravure de Lacauchie les cornettes religieuses sont au cœur de cet espace, entre le groupe des apprentis médecins et les patients alités.
Les années du Consulat et de l'Empire posent les bases légales de la professionnalisation médicale pour un siècle, tandis que le corps médical prend forme sous la monarchie libérale (on compte 18 000 médecins en 1847) même si son image reste exécrable dans la société française. De fait, la déontologie qui se diffuse alors dans le métier concerne surtout les bonnes pratiques commerciales. Les progrès thérapeutiques ne suivent guère ceux de la professionnalisation. L'Eglise catholique s'accommode plutôt bien d'une médecine expectante[1], observatrice, peu interventionniste. Elle est notamment prompte à dénoncer les théories matérialistes qui s'expriment à travers la mode de la phrénologie[2]. Dans ce premier XIXe siècle le prêtre et la religieuse conservent donc sans conteste un rôle soignant, le réconfort spirituel étant une composante reconnue d'un vitalisme[3] encore puissant.