Honorer les dieux dans l'espace méditerranéen antique et ses marges

Une église à son tour désertée

Il faut encore s'interroger sur la durée du fonctionnement de l'église copte de Philae. D'après les sources, le dernier évêque connu d'Assouan, dont dépendait ce sanctuaire, remonte à 1068. La communauté chrétienne était déjà réduite à cette époque, et l'on suppose que l'église copte a été abandonnée entre le XIe et le XIIIe siècle. L'église copte, elle aussi, a finalement été désaffectée. Une citation de l'historien arabe du XIIIe siècle Abou Sali parle d'une « église en ruine du côté de la cataracte ». On peut donc penser qu'à ses yeux le sanctuaire était déjà abandonné. L'histoire de cette église connaît dès lors un long sommeil, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. En 1798, Philae est visité par l'expédition de Bonaparte, qui trouve un champ de ruines. Détail pittoresque : sur l'une des gravures de la Description de l'Egypte consacrée au temple, est figuré un groupe d'indigènes nus, qui se distinguent par cette tenue des Arabes d'Egypte. On a parfois voulu voir dans ces groupes les descendants des tribus mentionnées par Procope. Le détail a fait énormément rêver et l'on s'est demandé si les Bedja du Soudan et de Nubie, voire d'autres groupes encore, n'étaient pas les ultimes descendants des antiques Blemmyes et autres Noubades. Mais l'examen prudent des sources oblige, là aussi, à tenir compte d'une longue solution de continuité entre l'Antiquité tardive et l'Egypte moderne, et à admettre que la mémoire des derniers adorateurs d'Isis est bel et bien évanouie.

Vue perspective du temple de l'Ouest et de plusieurs autres édificesInformationsInformations[1]
Détail de la « vue des monuments de l'île et des montagnes de granit qui l'environnent ».InformationsInformations[2]

La thématique de la mémoire et de l'oubli est un motif également travaillé dans les sources arabes, à propos de l'horizon ancien de l'Egypte. On peut mentionner à cet égard un texte de Massoudi[3] évoquant l'oubli de la lecture des hiéroglyphes. Cet extrait illustre l'idée de l'abandon de la culture traditionnelle par l'oubli et non par la destruction ou les conséquences de l'invasion : une sorte de fatalité, menant à une extinction culturelle. Mais les thèmes catastrophiques ne manquent pas aussi d'être convoqués par cet auteur, s'interrogeant sur certaines étranges reliques de la civilisation égyptienne. Ces « corps amoncelés », ces tas de cadavres que l'on tire des « cavernes », sont certainement les anciennes momies, entassées parfois dans des nécropoles, dont l'historien arabe invente là un sinistre destin, témoin d'une fin « catastrophique » d'une civilisation oubliée, mais dont les multiples traces sur le sol d'Egypte attisent l'imagination.

  1. C.L.F. Panckoucke. Description de l'Egypte, Antiquité, Vol. I, p. 56, pl. 24 : Vue perspective du temple de l'Ouest et de plusieurs autres édifices. Disponible sur : http://descegy.bibalex.org/

  2. C.L.F. Panckoucke. Description de l'Egypte, Antiquité, Vol. I, p. 16, pl. 4 : Détail de la « vue des monuments de l'île et des montagnes de granit qui l'environnent ». Disponible sur : http://descegy.bibalex.org/

  3. Massoudi ou Mas ‘ûdi (mort v. 945/956)

    Abu al-Ḥasan ʿAlī ibn al-Ḥusayn ibn ʿAlī al-Masʿūdī, écrivain et historien arabe, grand voyageur, né en Syrie et mort au Caire.

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