Divinités poliades et dieux des peuples en Grèce ancienne et au Proche-Orient
Dieux rivaux en Grèce ancienne
On entend généralement par « divinité poliade »
la divinité protectrice d'une cité antique. Cependant, pour ce qui concerne l'idée elle-même de « divinité poliade »
, « protectrice de la cité »
, il est utile de faire un petit sondage. L'appellation polias est propre à la seule Athéna[1], à Athènes bien sûr mais aussi en Arcadie et à Spartes, en Argolide, en Epire, en Eubée, à Théra, à Ios, à Rhodes, à Imbros, à Pergame (culte important) et dans différentes cités d'Asie Mineure et de Grande Grèce. Zeus[2], lui, est fréquemment qualifié de Polieus en Attique, à Rhodes, à Théra, à Cos, en Asie Mineure, en Grande Grèce, comme Sarapis[3] l'est parfois aussi, en Egypte. On rencontre une Athéna Poliouchos (« soutien de la cité »
) à Spartes, et peut-être aussi à Athènes, une Aphrodite[4] Poliouchos en Epire, un Zeus Poliouchos à Antioche. On peut difficilement dire que chacune des divinités invoquées comme poliade, polieus ou poliouchos soit liée de manière privilégiée, voire exclusive, à une cité particulière.
Le partage des prérogatives entre les trois frères divins (Zeus, Poséidon[5], Hadès[6]), concerne des zones du monde où l'humain ne vit pas, et la terre, comme l'Olympe, est dite « commune à tous [les dieux] »
. On s'attend donc à voir les dieux en compétition. Il existe bel et bien une mythologie des dieux revendiquant la possession de leur ville ou de leur territoire. Héra, dans l'Iliade, aime particulièrement Argos, Spartes et Mycènes. Apollon est chez lui à Délos et à Delphes, tandis que (dans l'Hymne Homérique à Apollon) Poséidon règne sur Onchestos, et Telphousa refuse de céder son territoire. Mais il s'agit là, de toute évidence, d'une mythologie assez réservée, et peu systématique. La Bibliothèque d'Apollodore[7] (III, 14) théorise cette affaire de répartition en préface au récit du conflit entre Athéna et Poséidon pour la possession de l'Attique : c'est à l'époque du règne de Cécrops, y est-il dit, « que les dieux résolurent de s'approprier les cités dans lesquelles chacun avait l'intention de recevoir son propre culte »
. La chose est présentée comme un motif familier. Mais il faut toutefois relever que la Bibliothèque d'Apollodore est rédigée dans un contexte impérial, de résistance à l'idéologie romaine. Cela revêt une certaine importance... Il faut souligner aussi que les récits de conflit entre divinités pour la possession d'un territoire impliquent le plus souvent Poséidon (Poséidon et Héra à Argos, Poséidon et Dionysos[8] à Naxos, Poséidon et Zeus à Egine, Poséidon et Hélios[9] à Corinthe, sans oublier bien sûr Poséidon et Athéna sur l'Acropole d'Athènes). On relèvera au passage que le seul lieu où Poséidon l'emporte, c'est à Trézène, contre Athéna ! On est loin d'une thématique globale.
Dieux et Dieu au Proche-Orient
La notion de divinité poliade semble mieux adaptée au Proche Orient qu'à la Grèce. En Mésopotamie, dès les époques les plus anciennes (Sumer), on relève que certains dieux ont des lieux de résidence privilégiés : Enki[10] à Eridu, Inana[11] à Uruk... Ils y ont leur sanctuaire. Dans la mythologie sumérienne, on assiste à des voyages, à des visites de dieux qui quittent leur sanctuaire pour se rendre vers une autre ville comme Nippur ou Eridou, pour un banquet ou à d'autres occasions.
Selon la version la plus ancienne qui nous soit parvenue du texte de Deutéronome 32,8, la version grecque, Yahvé, dieu d'Israël, apparaît comme l'un des dieux de l'assemblée qui siège sous la souveraineté d'El. Yahvé est considéré comme un des fils de El. Celui-ci, dieu suprême, procède à la répartition, entre ses fils, des différents peuples du monde connu. A Yahvé revient Israël, désigné sous le nom de Jacob. Ce texte, dont le caractère polythéiste est gommé dans la version hébraïque de la Bible, « est tout à fait conforme à la théologie du Proche Orient ancien en général »
, comme l'ont relevé entre autres Albert de Pury et Thomas Römer : « Chaque nation hérite d'une divinité tutélaire, qui lui donne sa terre, qui la protège de ses ennemis, et qui assure la fertilité de son sol et la fécondité de ses habitants. Selon la version originale de Deutéronome 32,8, Yahvé est donc le dieu national d'Israël, tout comme Kemosh est le dieu tutélaire des Moabites, ou Milkom celui des Ammonites »
.
Au sommet d'un panthéon réduit au strict minimum, un dieu tutélaire, maître du pays et de ses habitants ; un dieu du terroir donc, un indigène lui aussi. Mais le dossier biblique, proche-oriental, prend une importance cruciale avec l'émergence du christianisme, dans la réflexion sur les fondements de l'Empire romain.