La dynastie, les notables et les paysans
Les Chéhab occupent le sommet de l'échelle sociale. Ils prennent le titre d'émir porté par tous les membres de la famille. L'émir en exercice s'attribue le titre de « grand émir gouverneur »
. Les émirs Arslan[1] et Aboullama[2] occupent le deuxième rang. Ces derniers, comme les Chéhab, embrassent le christianisme au XVIIIe siècle et peuvent seuls contracter mariage avec eux. Puis suivent les familles des cheikhs divisés en « grands »
et « petits »
. Selon des conventions particulières, ces familles autorisent l'intermariage. Dans cette société d'ordre, le rang est scrupuleusement respecté. L'égard dû à une personne ne diminue pas si elle devient pauvre et ne grandit pas si elle devient riche. Les alliances entre les notables se nouent et se dénouent selon l'intérêt politique mais pas selon la croyance religieuse. Le bipartisme est de règle : aux Qaysi et Yamani se substituent les Joumblatti[3] et les Yazbaki[4] après 1750. Les chrétiens se rallient à l'un ou à l'autre de ces partis. Chaque famille de notables exerce son pouvoir sur un ou plusieurs districts. Le notable s'appelle moukataaji et le district sous sa tutelle moukataa. Le moukataaji remplit au moins 5 fonctions :
Protectrice-vitale : le moukataaji doit assurer la subsistance des paysans placés sous sa tutelle en leur fournissant du travail sur ses terres, habituellement selon le mode de fermage ou d'association ; il veille à la sécurité de leurs personnes et de leurs biens.
Fiscale : il perçoit les taxes dans son district, il y contribue parfois lui-même, dans une faible mesure, et en soustrait les sommes nécessaires à son administration locale.
Judiciaire : il juge les délits de ses sujets, mais les actes criminels relèvent du tribunal de l'émir gouverneur.
Militaire : il entretient une milice à la disposition de l'émir pour assurer l'ordre intérieur ou régler ses démêlés éventuels avec les pachas[5] turcs.
Elective : il participe avec ses pairs à l'élection de l'émir. Cette élection s'effectue par concertation plutôt que par vote. Néanmoins, elle atténue le caractère héréditaire de l'émirat et lui donne un souffle absent des institutions ottomanes.
Les paysans forment l'autre catégorie sociale, placée sous celle des notables. La relation paysan-notable n'est pas fondée sur la religion, elle ne comporte ni cérémonial d'investiture, ni serment de fidélité. La plupart des chrétiens des districts mixtes font allégeance aux moukataaji druzes[6] et une bonne partie d'entre eux en dépendent pour leur subsistance. Il existe deux types de paysans : les uns possèdent leurs propres terres et sont indépendants, les autres en sont dépourvus, mais essayent d'en acquérir par la force du travail ordonné selon les différentes formes d'affermage. Quelle que soit l'originalité de l'iktaa` par rapport à d'autres systèmes socio-politiques en vigueur dans l'Empire ottoman, le paysan est assujetti au sultan par le versement du miri[7] . L'émir gouverneur obtient l'allégeance de ses pairs, acquitte les impôts et reçoit la pelisse d'investissement.