Une politique d'alliances
Dans le champ des relations extérieures, l'émir pose des actes qui manifestent sa volonté d'indépendance vis-à-vis de la Porte. L'action est réfléchie. Pour le représenter, Fakhr al-Din désigne des délégués : un sunnite auprès de la Sublime Porte, un chiite auprès du Chah de Perse et un prélat maronite est préposé aux affaires européennes.
Les garanties diplomatiques sont fragiles. En 1607, le Grand Duc de Toscane, Ferdinand Ier[1], conclut un accord militaire et commercial avec le pacha d'Alep, Ali Jamboulat[2] qui a cessé de payer tribut au Sultan et s'est emparé de Tripoli et de Damas en 1606. Cependant, le Grand Duc n'apporte pas le moindre secours au pacha lorsque celui-ci est attaqué par les Ottomans la même année. La marge de manœuvre de Fakhr al-Din est réduite : allié du pacha, il doit convaincre la Porte que l'aide militaire accordée à Ali Jamboulat pour conquérir Damas et Tripoli n'avaient pas de visée anti-ottomane. Pour ce faire, il envoie son fils Ali à Constantinople, porteur de nombreux présents. Au même moment, à Saïda, il conclut un accord avec un envoyé de Ferdinand Ier. En application de cet accord, l'émir autorise l'accès de certains ports (Acre, Tyr, Beyrouth) à Florence ainsi qu'à d'autres puissances européennes, en contrevenant ainsi aux ordres de la Porte : seuls les navires naviguant sous la bannière du royaume de France disposaient de ce droit depuis un siècle.
La flotte de Ferdinand Ier lui permet de défendre les côtes de Toscane et de protéger son commerce maritime, mais en aucun cas de peser dans un conflit contre l'Empire ottoman. Pour Fakhr al-Din, il apparaît que ce sont les dimensions économiques et culturelles de la relation qui priment. Il refuse d'ailleurs les avances de deux puissances européennes : celle de la France ; celle de l'Espagne, qui promet de fortifier le port de Tyr. Les deux chroniqueurs s'accordent donc pour affirmer que ce ne sont pas ces relations qui expliquent l'affrontement de l'émir avec le sultan lors de la campagne de 1613. Ahmad al-Khalidi al-Safadi minore d'ailleurs l'événement en parlant d' « agression »
et non de campagne véritable, et en omettant toute référence à une révolte druze qui aurait été conduite par l'émir. L'interprétation des événements de 1633 ne donne pas lieu à des commentaires explicites. Le Sultan Murad IV[3] donne au pacha de Damas l'ordre de marcher contre l'émir. Ce dernier est capturé puis exécuté à Constantinople, le 13 avril 1635, avec trois de ses fils.
Les deux biographes présentent Fakhr al-Din comme un héros. Avec des motifs différents, chacun d'eux minore l'affrontement qui a opposé l'émir au sultan. Ahmad al-Khalidi al-Safadi met en avant la dimension religieuse sunnite qui sous-entend le respect et la loyauté à l'égard du sultan qui est aussi calife. Estephan al-Douaihy souligne le trait d'un gouverneur tolérant à l'égard des chrétiens et l'absence de volonté d'affranchissement à l'égard du Sultan, afin de préserver l'existence de l'émirat des Maan affaibli à la fin du XVIIe siècle. Les motivations religieuses et politiques de l'un comme de l'autre sont donc marquées. D'autres grilles de lecture sont élaborées au moment de la fondation de l'Etat libanais, en septembre 1920 : pour une majorité de chrétiens d'alors, Fakhr al-Din était une figure fondatrice du Liban contemporain ; pour une majorité de musulmans, un héros arabe ayant combattu la tyrannie turque. Les sources spécifiquement druzes sont, quant à elles, encore relativement mal connues. Une exploitation ouverte de ces documents permettrait de mesurer, par exemple, le rôle de la taqiyya[4] dans l'exercice du pouvoir.