Des emprunts politico-religieux au khârijisme, au zaydisme et au sunnisme
La conquête musulmane du Maghreb, ouverte avec la prise de Tripoli en 642, s'étend sur plus d'un demi-siècle. Les troupes atteignent la côte atlantique du nord de l'Afrique à la suite des victoires militaires de Moussa Ibn Nasser (705-709). Territoire et populations, essentiellement berbères, sont placés sous l'autorité du gouverneur aghlabide[1] établi à Kairouan au service du calife omeyyade de Damas. Ce pouvoir est contesté par les khârijites[2] opposants à la fois à l'autorité califale et à leurs adversaires chiites qui ont placé leur reconnaissance politico-religieuse dans la descendance d'Ali[3] et de Fâtima[4] en vertu de la référence au « texte » (bil-nass) coranique. Les khârijites s'emparent de la ville de Tanger en 730 et déclenchent une révolte générale en 742. En 750, la chute des Omeyyades à Damas se fait au profit d'une nouvelle dynastie, celle des Abbassides qui déplacent le centre du pouvoir califal à Bagdad, tandis qu'une branche de la famille omeyyade règne en Andalousie. Cet événement confère à la région occidentale de l'empire une forte autonomie. Au sud du détroit, à la fin du VIIIe siècle, ce sont des chiites fuyant la persécution à l'Est qui s'imposent : les Idrissides (789-986). Revendiquant une filiation avec Ali, Idrîs Ier[5] est accueilli favorablement par les populations berbères de Walîla en 788 et fait valoir son autorité face aux khârijites de Tlemcen. En 789, il fonde une agglomération sur la rive droite du Wâdî Fâs, mais il est assassiné sur ordre du calife abbasside en 792. Idris II[6], né après la mort de son père, parvient à établir une certaine stabilité autour de sa personne en recourant à la diplomatie et à la force. Il double la première Fès d'une seconde, dotée d'une enceinte, en 809, qui devient rapidement un centre commercial et culturel de langue arabe, où est érigée la mosquée d'al-Qarawiyyîn en 859. Il rompt avec le khârijisme. La forme proto-étatique est rudimentaire : le souverain frappe monnaie, recueille les impôts et conduit des opérations militaires. Au demeurant, le dynamisme de Fès ne peut pas voiler les divisions politiques : le partage du royaume entre les fils d'Idris II ouvre une phase de contestations qui affaiblissent considérablement le pouvoir au profit d'émirats indépendants et du rameau andalou de la dynastie omeyyade.
Le morcellement de l'autorité, très confus selon les sources, n'entrave pas la poursuite de l'islamisation des habitants. La dynastie s'effondre progressivement à partir de la fin du IXe siècle. Le prestige de son nom est entaché. Parmi différents faits, le géographe al-Bakri signale un acte réprouvé par toute la population de Fès : le viol d'une jeune juive, dans un bain public, par Yahia II[7] également taxé d'ivrognerie. Les luttes se poursuivent entre tribus berbères et arabes et les khârijites sont à l'origine de mobilisations sporadiques. Les Fatimides[8], fondateurs d'une dynastie chiite en Ifriqiyya[9], profitent de cet affaiblissement pour conquérir la ville de Fès en 921, et les Omeyyades de Cordoue établissent une garnison à Ceuta. Quelques ensembles tribaux sont les détenteurs effectifs de l'autorité : Zénètes de l'Ouest, Ghomora du Rif, Barghwata de la Chaouia, Masmouda du Haut Atlas et Sanhaja au Sud. La base confessionnelle reste flottante dans la mesure où des éléments de paganisme, de chiisme et de kharijisme se mêlent à un sunnisme de plus en plus important.
Les Almoravides plongent leurs racines dans la tribu berbère des Juddala-Sanhaja. En 1058, le corps de guerriers combattant au nom de l'islam, établi sur une île proche de l'actuel Sénégal, s'engage dans une lutte contre l'empire africain du Ghana qui s'effondre en 1077. Groupés autour de Yusuf Ibn Tashfîn[10], véritable fondateur de la dynastie, les Almoravides lancent une offensive vers le Nord et établissent le centre de leur pouvoir à Marrakech. En 1085, ils sont sollicités pour mener le jihâd face aux souverains chrétiens de la péninsule ibérique. Ils remportent une victoire décisive contre Alphonse VI[11] à Zallaqa en 1086. A la mort de Yusuf Ibn Tashfîn, leur empire embrasse l'Andalousie et une grande partie de l'Afrique du Nord. Mais ils sont renversés, un demi-siècle plus tard, par les Almohades/al-muwahidûn, « ceux qui confessent l'unité divine »
. Issus des tribus berbères du Haut-Atlas, les Almohades se réclament de la pensée d'Ibn Tumart. Leur force s'affirme après le décès de celui-ci, sous l'impulsion de son disciple Abd al-Mu'mîn[12]. Ce dernier s'empare de Tlemcen, Fès et Marrakech avant de traverser la Méditerranée pour conquérir Cordoue (1148) et Grenade (1154) sur les Almoravides. Ces guerres entre musulmans finissent par affaiblir leurs positions face aux royautés chrétiennes et l'un des successeurs d'Abd al-Mu'mîn est défait à la bataille de Las Navas de Tolosa (1212). En Afrique, des dynasties locales s'imposent : Hafsides à Tunis (1236), Abdelwadides à Tlemcen (1239) et Mérinides à Marrakech (1269).