Changement confessionnel et accès à l'indépendance : les institutions politiques et religieuses à Genève au XVIe siècle

Adhésion de Genève à la Réforme

En 1536, en adhérant à la foi réformée, Genève rompt avec l'Église catholique romaine. L'adoption des nouvelles idées réformées s'est effectuée en trois phases. De 1525 à 1532, la première étape correspond à la diffusion des idées de Luther et Zwingli[1] par des marchands allemands et les pasteurs des alliés bernois. De 1532 à 1534, la deuxième étape est un temps d'affermissement. Les partisans et les opposants des nouvelles idées s'affrontent en public. En censurant les prédicateurs de l'un ou l'autre parti, les autorités communales se positionnent selon les pressions de leurs alliés combourgeois : Fribourg ville catholique ou Berne cité réformée depuis 1526. De 1534 à 1536, la rupture complète avec l'évêque et la ville de Fribourg à la suite de l'affaire Portier représente la troisième étape de mise en place des idées réformées. Sous l'influence de Berne, l'engagement de la population à la Réforme se réalise progressivement. La célébration de la messe est suspendue en 1535. En mai 1536, l'adhésion officielle à la Réforme est entérinée par le Conseil Général et concrétise ainsi une victoire politique de Berne par rapport à Fribourg. La république souveraine devient protestante. Les changements institutionnels consécutifs au nouveau choix confessionnel de la ville s'amorcent dès juillet 1536. Certains de ces changements représentent des innovations alors que d'autres s'appuient sur des modifications des structures préexistantes.

En 1537, Farel et Calvin présentent leur projet d'Ordonnances Ecclésiastiques basées sur un principe de « non dépendance » de l'Église par rapport à l'État, ce principe est mal accepté par les Conseils. Le désaccord entre les magistrats et les Réformateurs porte sur l'étendue du pouvoir disciplinaire de l'Église et entraîne la disgrâce de Calvin et Farel qui quittent la ville en 1538. Jusqu'en 1541, les partisans des usages bernois qui acceptent la soumission de l'Église à l'autorité civile des magistrats s'opposent aux adeptes de l'indépendance ecclésiastique. En 1541, l'échec des partisans des principes bernois suite à un jeu d'influence politique, conduit à adopter les Ordonnances ecclésiastiques en Conseil Général. Calvin rappelé à Genève peut mettre en application sa réforme religieuse et politique. Les Ordonnances, inspirées du modèle strasbourgeois mis en place par Martin Bucer[2] posent les principes de quatre « ministères » destinés à la prédication, l'enseignement, la discipline et l'exercice de la charité ; tous quatre sont dirigés respectivement par la Compagnie des pasteurs, les docteurs, les membres du Consistoire[3] et les diacres. Les Ordonnances organisent aussi l'administration des sacrements, la célébration des mariages et des ensevelissements, la visite des malades et des prisonniers, l'instruction religieuse.

L'autorité de l'Église n'est pas assujettie au pouvoir politique mais agit en coordination avec celui-ci, ce qui se manifeste tout particulièrement à travers l'activité du Consistoire qui contrôle par des admonestations mais délègue la répression des cas les plus graves aux magistrats. La sanction la plus extrême qu'applique le Consistoire est l'excommunication de la Sainte Cène[4], une mesure d'exclusion extrêmement puissante pour la société de l'époque. Pour un excommunié, il devient difficile de se marier, de parrainer un enfant, donc de participer à des actes et à des rituels fondateurs du lien social entre les membres d'une communauté. L'excommunication ostracise l'individu, une situation qui interfère avec sa vie quotidienne et son travail. Confrontés aux conséquences sociales d'une telle peine, les excommuniés s'efforcent à tout prix d'être réintégrés dans la communauté. La mise en place d'une telle institution de contrôle social est source de tensions entre la population et Calvin. Toutefois, malgré les antagonismes et les résistances, il n'y pas de remise en question de la doctrine réformée et aucune volonté manifeste d'un retour vers le catholicisme.

En plus de ses activités religieuses, Calvin participe à l'élaboration des édits et ordonnances qui réorganisent l'ordre juridique et politique genevois en 1543. Pour ce faire il s'appuie sur les structures politiques préexistantes. Les « Édits politiques » de 1543 ou les « Ordonnances sur les offices et les officiers », définissent l'organisation des pouvoirs, le mode d'élection, la compétence et les prérogatives de chaque magistrat. La mise en place d'un système d'emboîtement politique entre le Conseil Général, le Petit Conseil et le Conseil des Deux Cents, donne plus de pouvoirs aux Conseils restreints et limite le rôle du Conseil Général. Selon W. Monter, à une époque où l'État est assujetti à la « parole de Dieu », le Petit Conseil adhère aux mêmes principes que les autres princes européens : tout office public est une charge, un devoir de « soumission à Dieu » et non un moyen d'honneurs ou d'avancements. L'acceptation et la mise en place de ces Édits et Ordonnances de 1543 clôturent ainsi les réformes ecclésiastiques, juridico-politiques et institutionnelles.

En 1526, Genève est devenue une république souveraine. Dix années plus tard, l'émancipation politique de la cité est finalisée alors que s'effectue un changement confessionnel auquel adhère l'ensemble de la population[5]. La rupture confessionnelle avec l'Église catholique romaine confirme l'autonomie politique gagnée par rapport au prince-évêque. L'exercice des droits régaliens, c'est à dire battre la monnaie, lever l'armée, percevoir l'impôt mais surtout rendre la justice, représente les prérogatives du souverain et se trouve au centre des conflits d'autorités qui se déroulent à Genève. Dans le même temps, les changements institutionnels résultent de l'émancipation politique et du changement confessionnel tout en les consolidant. Les droits souverains sont maintenus alors que les institutions qui les exercent changent. Mais finalement, quelle est l'ampleur de ces mutations institutionnelles ? S'il existe des ruptures, beaucoup de continuités sont à relever. Ainsi le Conseil Général et le Petit Conseil se maintiennent depuis le Moyen Âge alors que la création du Conseil des Deux Cents en 1526, permet aux partisans de l'indépendance de contourner leurs opposants qui siègent au Petit Conseil. Quant à la création du Tribunal du lieutenant de justice en 1529 et celle de l'office du procureur général en 1534, elle répond avant tout au besoin de remplacer les institutions et les personnes qui appartenaient auparavant à l'entourage de l'évêque. Les nouvelles autorités politiques se réapproprient les institutions. Elles les formatent selon leurs besoins tout en conservant les anciennes structures du pouvoir.

L'adhésion à la Réforme en 1536 conduit à la création de nouvelles institutions, telles que le Consistoire, sur lesquelles Calvin édifie son modèle de  « société ecclésiale » telle que définie par les Ordonnances ecclésiastiques. Les raisons en sont idéologiques mais aussi pratiques et économiques. En effet, le départ de l'ensemble du clergé catholique et de l'entourage de l'évêque provoque l'abandon des biens et des charges ecclésiastiques. On observe donc le transfert de certaines activités telles que l'aide aux pauvres et aux malades auprès de structures institutionnelles contrôlées par la ville. Ainsi plusieurs de ces nouvelles institutions représentent des structures de remplacements autant que d'innovation. L'histoire de Genève témoigne des influences réciproques entre la conversion de la population d'une ville à une nouvelle religion et l'autonomisation politique : un double processus qui se manifeste à travers de nouvelles institutions. Dans l'histoire de l'Europe, Genève représente un modèle d'affirmation d'une nouvelle souveraineté et d'adaptation institutionnelle à un changement confessionnel.

  1. Zwingli

    Huldrych Zwingli (1484-1531) prédicateur et curé en 1519, il se convertit et introduit la Réforme dans la ville de Zurich à partir de 1524.

  2. Martin Bucer (1491-1551)

    Né à Sélestat en Alsace, il entre au couvent des dominicains dans sa ville natale puis au couvent de Heidelberg en 1517. En 1518, il rencontre Luther dans cette ville. Convaincu par ses idées, il quitte son ordre en 1521. Devenu prêtre séculier après avoir obtenu une dispense de Rome, il se marie avant d'être excommunié. Il s'enfuit en Alsace et s'installe finalement en 1523 à Strasbourg dont il devient le réformateur jusqu'en 1549. Forcé à quitter Strasbourg sur ordre de Charles Quint, il finit sa vie à Cambridge où il enseigne jusqu'à sa mort et participe ainsi à la consolidation de la Réforme en Angleterre.

  3. Consistoire

    Le Consistoire se compose de laïcs (les « anciens » choisis parmi les membres du Petit Conseil) et de pasteurs. Investi d'un rôle de surveillance et de contrôle disciplinaire, il se réunit sur une base régulière et convoque ceux qui doivent être exhortés et réprimandés quant à leur foi.

  4. Sainte Cène

    Chez les protestants, la Sainte Cène est l'un des deux sacrements reconnus (l'autre étant le baptême). Durant la cène, en commémoration du dernier repas du Christ avec ses apôtres, les participants partagent le pain et le vin qui représentent le corps et le sang du Christ.

  5. Population génevoise

    L'évaluation de la population genevoise au XVIe siècle s'avère un exercice difficile en regard de la pauvreté des données. Quelques dénombrements ont été effectués en période de disettes afin d'établir l'approvisionnement nécessaire à la population. Selon Alfred Perrenoud le nombre d'habitants s'élève à 13 100 en 1550 et atteint 21 400 en 1560 à la suite de l'afflux de réfugiés français pour motifs religieux. Cette augmentation n'est que temporaire, beaucoup de réfugiés retournent en France ou partent pour d'autres destinations durant la décennie 1550-1560. Le nombre d'habitants redescend à peu près à 15 000 et se maintient autour cette valeur jusqu'au début du XVIIIe siècle.

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AccueilAccueilImprimerImprimer Sonia Vernhes Rappaz, doctorante, Université de Genève (Suisse), projet Sinergia (FNS), « La Fabrique des savoirs ». Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de ModificationRéalisé avec Scenari (nouvelle fenêtre)