L'essor des Plantations
Dans un premier temps, la colonisation est prise en charge par des entrepreneurs privés. Mais cet essai s'avère peu concluant, et l'Etat élisabéthain prend les choses en main : il lance un processus de Plantations, c'est-à-dire l'installation de cultivateurs anglais et écossais sur des terres prises à des Irlandais. La Plantation ne repose pas sur l'esclavage, comme dans les colonies d'outre-mer, mais présente des analogies avec la conquête de l'Ouest américain. Elle aboutit à un clivage culturel, économique, politique et religieux qui divise la population irlandaise en deux groupes : d'un côté, les protestants anglais et écossais protégés par les garnisons anglaises et dotés de droits politiques (élection des députés), de l'autre les catholiques irlandais et Old English considérés comme des populations arriérées.
Le mouvement de Plantation se développe tout d'abord dans deux régions. Dans le Laois et l'Offaly, près de la frontière du Pale, les Anglais y installent à partir du milieu du XVIe siècle des fermiers-soldats sur des terres confisquées aux familles « rebelles » des O'More et des O'Connor[1] et, dans les années 1590 ils fondent à Dublin Trinity College qui devint le centre du prosélytisme anglican en Irlande. Plus au nord, des presbytériens écossais tentent de s'installer sur la côte de l'Ulster. Ce mouvement s'amplifie à partir de 1605, date à laquelle des Ecossais se font donner des terres sur lesquelles ils organisent l'installation de compatriotes. Il s'agit d'une initiative privée qui fait du Down et de l'Antrim des foyers de peuplement écossais. Peu après, l'Etat anglais se charge de la colonisation.
La Plantation connaît alors un grand développement. Elle repose sur trois principes. En premier lieu, pour s'assurer que les nouvelles fermes ne seront pas détruites par des « rebelles », les Anglais décident de regrouper les Planters[2] à proximité de nouvelles villes et de garnisons. C'est ainsi qu'est reconstruite Londonderry , dans le nord de l'Ulster. Par ailleurs, les nouveaux propriétaires fonciers ne doivent pas prendre de tenanciers irlandais mais en faire venir d'Angleterre et d'Ecosse. Enfin, les propriétaires irlandais qui n'ont pas été expropriés ne doivent occuper qu'un quart de l'Ulster tandis que le reste de la population irlandaise doit être relogé près des garnisons et des villes protestantes. La Plantation est prévue dans les six comtés d'Ulster suivants : Coleraine, Armagh, Cavan, Fermanagh, Tyrone et Donegal. De plus petites colonies sont installées à partir de 1618-1620 dans le comté de Wexford et dans le centre de l'île.
Les autorités anglaises accordent à chaque nouveau propriétaire foncier environ 1 000 à 2 000 acres, soit 5 à 10 km2 à condition qu'il y installe au moins quarante-huit mâles adultes anglophones et protestants. L'Eglise anglicane d'Irlande récupère les terres prises à l'Eglise catholique et ses ministres du culte ont pour mission de convertir les Irlandais. La mise en valeur du sol, la déportation des Irlandais et le prosélytisme sont les trois volets de la Plantation entreprise sous Jacques Ier[3] et au début du règne de Charles Ier[4] (1625-1649). En Ulster, au moins la moitié des colons sont des Ecossais originaires des Lowlands. On compte alors dans l'île quatre groupes ethnico-religieux : les Irlandais (catholiques), les Old English (catholiques), les anglicans et les presbytériens écossais.
Cependant, cette colonisation s'avère décevante pour les Anglais. Le nombre de colons venus en Irlande reste faible. Dans les années 1630 vivent peut-être 20 000 adultes mâles en Ulster, soit 80 000 protestants en comptant les femmes et les enfants, ce qui signifie environ 7% de la population. Peu d'Irlandais ont été convertis au protestantisme, les prédicateurs anglicans parlant anglais et non pas gaélique. Il n'en demeure pas moins que les protestants sont majoritaires dans les vallées de la Fynn et de la Foyle ainsi que dans le nord du comté d'Armagh et dans l'est du comté de Tyrone. Ce sont les noyaux de la communauté protestante d'Ulster qui n'a cessé de se développer au fil des siècles. Les expropriations dont sont victimes les Irlandais, quantitativement limitées, et l'installation de ces communautés protestantes (anglicanes et presbytériennes) provoquent de vives tensions, à la fois socio-économiques, politiques et religieuses. Elles enclenchent un cycle de révoltes qui dure jusqu'à la fin du XVIIe siècle et entraîne de violentes répressions : le nombre de catholiques dans l'île passe de 1,2 million à 800 000 et les familles protestantes représentent alors entre 10 et 20 % de la population, selon les estimations.