Les débuts de la colonisation protestante en Irlande (1560-1630)

Une souveraineté temporelle, doublée d'une souveraineté spirituelle

Des Anglais se sont installés en Irlande à partir de 1170-1171, sous le règne d’Henri II[1] Plantagenêt. Les institutions y manifestent la suspicion des Anglais à l’égard des habitants de l’île. Le chef de l’exécutif est un Lord Deputy nommé par le roi d’Angleterre. Il travaille en principe avec un Conseil d’Irlande aux pouvoirs mal définis qui, depuis la fin du XVe siècle, fait appliquer la politique décidée par le privy Council[3] anglais. Il existe à Dublin un Parlement dont la composition est comparable à celle du Parlement anglais. Il se divise en une Chambre haute où siégent des « lords spirituels » et des « lords temporels », et une Chambre des communes où se réunissent une centaine de députés à la fin du règne d’Elisabeth Ière[2] : 66 représentants des 33 comtés et une quarantaine de députés des villes et des bourgs. Le fonctionnement de ce Parlement révèle les tensions qui opposent les Anglais aux Irlandais. Depuis 1494, la Poynings’ Law a mis fin à l’autonomie de l’Irlande. Le Lord Deputy et le Conseil d’Irlande doivent présenter au Privy Council anglais tout projet de loi (bill) que le Parlement irlandais souhaite discuter. Après avoir été approuvé par le roi d’Angleterre et son Conseil, le bill est soumis au Parlement de Dublin qui peut l’accepter, le rejeter en bloc ou l’amender ; mais en cas d’amendement il est à nouveau envoyé à Londres.

Bien que majoritaires dans l’île, les Irlandais ne participent donc pas au gouvernement de leur pays, les Anglais leur concèdent seulement des responsabilités locales. En 1541, à l’initiative d’Henri VIII[4], le roi d’Angleterre adopte le titre de roi d’Irlande afin de réaffirmer son pouvoir face à l’Eglise de Rome qui revendique la possession de l’île qu’elle considère comme un fief pontifical. Cette décision s’inscrit dans le contexte du conflit qui oppose Henri VIII au pape depuis que le Parlement anglais a voté en 1534 l’Acte de Suprématie faisant du souverain Tudor le « chef suprême sur terre de l’Eglise d’Angleterre ». Le roi peut désormais réprimer les « hérésies », nommer les évêques et organiser les visites pastorales pour corriger « erreurs » et « abus ». Autrement dit, la doctrine, l’évaluation des opinions erronées et la définition des voies du « salut » relèvent désormais de l’autorité politique. Même Constantin[5] et l’empereur du Saint Empire[6] n’avaient pas osé aller jusque-là.

La présence anglaise en Irlande reste cependant discrète dans la première moitié du XVIe siècle. La common law[7] anglaise n’est appliquée que dans la (ou le) Pale, autrement dit la région qui s’étend de Dublin à Dundalk. Il s’agit d’un petit territoire, longtemps protégé par une palissade (palus en latin) qui lui donna son nom. Outre cette modeste tête de pont, plusieurs régions font allégeance au roi d’Angleterre, notamment dans l’est et le sud de l’île, comme les comtés de Kildare, d’Ormond et de Desmond.

  1. Henri II

    Henri II Plantagenêt (1133-1189) était comte d'Anjou et duc de Normandie. Il devint comte d'Aquitaine en 1152 par son mariage avec Aliénor, puis roi d'Angleterre en 1154 en tant qu'héritier de Mathilde, la fille du roi Henri Ier.

  2. Elisabeth Ière (1533-1603)

    Fille d'Henri VIII et d'Anne Boleyn qui fut condamnée à mort pour adultère. Elle devient reine d'Angleterre après la mort prématurée de son demi-frère Edouard VI (1547-1553) et de sa demi-sœur Marie Tudor (1553-1558), son aînée.

  3. Privy Council

    Gouvernement du roi d'Angleterre, l'équivalent du Conseil du roi sous les Bourbons.

  4. Henri VIII

    Henri VIII Tudor (1491-1547) règne à partir de 1509. Il engage l’Angleterre sur la voie du protestantisme en rompant en 1534 avec le pape Clément VII qui refusait d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon.

  5. Constantin

    Empereur romain de 306 à 337, Constantin adopta une politique favorable aux intérêts de l’Eglise, en commençant par accorder aux chrétiens les mêmes droits que les païens. Il convoqua le premier concile œcuménique à Nicée, en 325, et se convertit au christianisme.

  6. Saint Empire

    Le Saint-Empire romain de la nation allemande fut créé en 962 par Othon Ier. Il dura jusqu’en 1806. Il rassemblait les Etats allemands et le royaume de Bohême sous l’autorité d’un empereur qui fut toujours catholique.

  7. Common law

    Loi anglaise issue des vieilles lois germaniques (angles, saxonnes). Elle fut mise en forme sous Henri II selon les catégories du droit romain, elle se développa par l’accumulation de la jurisprudence.

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AccueilAccueilImprimerImprimer François Brizay, Maître de conférences à l'Université d'Angers (France). Réalisé avec Scenari (nouvelle fenêtre)