Conclusion
Marie Noël a donné au XXe siècle des textes importants de la littérature « mystique » (tout en répétant régulièrement qu'aucun de ses textes ne méritait ce qualificatif), ici expression de l'expérience de la foi, de la spiritualité intérieure. C'est dans ce genre que cette femme, qui a toujours pris garde de ne pas sortir des fonctions féminines traditionnelles, est parvenue à se faire un nom. Ce n'est pas un hasard. Comme la philosophe Françoise Collin l'a montré, la littérature mystique offre la possibilité aux femmes de s'adresser à Dieu sans l'intervention, l'intermédiaire, des hommes. Cela ne veut pas dire que son témoignage de foi ne parle qu'aux femmes. Au contraire. Les nombreuses critiques de son œuvre sont écrites par des hommes. C'est que, pour beaucoup de catholiques, sa littérature est un support, un guide, dans leur cheminement spirituel, comme le sont les textes d'autres mystiques, Saint François de Salle, Thérèse de Lisieux, par exemple. D'une manière symptomatique, le frère Christophe Lebreton[1], moine trappiste à Tibhirine qui fut assassiné en 1996 en Algérie, cite l'un de ses poèmes dans son Journal. Mais on pourrait citer à l'envi les croyants qui se réfèrent à elle. Par rapport aux œuvres des mystiques des siècles précédents, les textes de Marie Noël sont toutefois plus audacieux. C'est que la pratique des catholiques a changé. Dans un contexte de poussée de l'individualisme et de déliaison de l'adhésion au discours normatif clérical, la relation à la religion s'est modifiée. L'enjeu pour les croyants n'est plus de prouver leur allégeance à l'institution, mais d'exprimer leur foi en faisant preuve de leur créativité à la dire. La socialisation religieuse se fait désormais par élection et il est important de dire son choix. La question pour le croyant est moins la stabilité de son rapport à l'institution que l'expérience qu'il fait des contenus dogmatiques et de la manière dont il vit l'authenticité de sa croyance. Par son récit de soi où son for intérieur est dévoilé avec la plus grande hardiesse, Marie Noël a montré la voie.