Conclusion : Rejet/Centralité des formes mystiques de la religion
Quelle place occupent les courants mystiques dans les différentes religions ? Si de nombreuses comparaisons sont possibles entre les différentes expériences mystiques, leurs propositions sont plus ou moins bien acceptées selon une chronologie loin d'être linéaire. L'étude attentive des phénomènes de rejet/centralisation permet de construire un gradient. Au sein de l'hindouisme, si le yoga ne constitue qu'un des six darshana, les perspectives mystiques restent omniprésentes et il en est assez généralement de même dans le bouddhisme. Au sein des religions révélées, la mystique est plus difficilement au centre du jeu. Cependant, dans le christianisme, elle a rarement fait l'objet de contestations frontales et fondamentales à quelques exceptions près : efflorescence des courants mystiques dans le catholicisme à la fin du XVIIe s. et condamnation par exemple du quiétisme en France ou rejet de la mystique dans le protestantisme en plein essor du rationalisme (fin XIXe, début XXe siècle)[1]. Au sein du judaïsme, la mystique n'a jamais été l'objet de condamnation par les autorités rabbiniques du moins pour sa frange gnostique ; la kabbale restant attachée à l'étude de la Torah. La situation est bien moins évidente avec le second essor du hassidisme au XVIIIe s. Sur un plan théorique, les rabbins attachés à l'étude des textes sacrés s'inquiètent des propositions centrant le rapport à Dieu sur la prière valorisant l'immanence divine et s'insurgent également contre le culte des saints (tsaddiq) hassidiques parfois exercé de leur vivant. Toutefois c'est dans l'islam que les crises entre juristes-théologiens d'un côté et défenseurs du soufisme de l'autre ont été et sont encore les plus graves. Les premiers refusent drastiquement tout emploi de la notion d'ishq Allah (amour charnel de Dieu) et restent réservés quant à l'interprétation de la notion coranique d'hubb Allah (amour spirituel). Considérant que l'amour est un concept supposant le partage, idée incompatible avec Dieu, ils lui préfèrent l'idée d'adoration. L'idée d'union avec Dieu leur est insupportable et justifie leur rejet du soufisme. Une première grave crise culmine avec l'exécution de Hallaj[2] au IXe s. Ce dernier, franc partisan de l'union charnelle à Dieu, pousse le principe de l'union jusqu'à employer des locutions théopathiques : « Mon je c'est Dieu » et prône l'intériorisation du pèlerinage à la Mecque appelant tout fidèle à faire sept fois le tour de la kaaba de son cœur. Son supplice marginalise le soufisme pour plusieurs siècles et pousse ses défenseurs à de nombreuses concessions pour construire une mystique compatible avec l'orthodoxie musulmane [3]. Si le soufisme connaît une croissance importante dans de nombreuses terres majoritairement musulmanes, il est aujourd'hui largement combattu par les courants salafistes qui le considèrent comme hérétique.
Le cours proposé ici vous offrira dans un premier temps une série d'éclairages sur les expressions mystiques au sein du christianisme, de l'islam et du judaïsme. Il vous proposera ensuite de vous interroger sur la place des femmes au sein de la mystique avant de montrer comment le vocabulaire de l'expérience mystique se diffuse au sein des pratiques littéraires non spécifiquement religieuses au sein du XXe s.