Religions et gestion de la violence

Tentative de définition du concept de « violence »

Le terme de « violence » est parmi les sujets les plus consommés et médiatisés au début du XXIe siècle. Il est, paradoxalement, difficile à cerner et à situer. Jean-Claude Chesnais, dans son ouvrage sur l'Histoire de la violence, définit la violence comme « une force brutale illégitime exercée sur autrui », tout en précisant qu'elle « n'est pas une mais multiple ». Il considère que « vouloir l'enfermer dans une définition fixe et simple, c'est s'exposer à la réduire et à mal comprendre l'évolution de sa spécificité historique ». En langue arabe, l'outil le plus pertinent du point de vue étymologique est le Lisan al-‘Arab d'Ibn Manzûr[1] . Le mot' unf « violence » renvoie à la transgression, à l'utilisation de la force brutale contre une personne quelconque ; c'est aussi le contraire de la tolérance et de la paix.

Ilparaît possible de distinguer 3 formes de violence :

- la violence physique, incontestable et mesurable

- la violence économique

- la violence morale, psychique ou « symbolique » (Pierre Bourdieu) qui peut correspondre aux insultes verbales, aux discriminations socio-urbaines, aux exclusions les plus diverses qui laissent des traces psychiques et mentales parmi les populations marginalisées.

L'usage de la violence a été encadré, régulé, par les responsables des religions, et notamment ceux de la religion musulmane. Parmi les références coraniques les plus courantes, figurent les sourates Al-Anfal et Al-Ma ‘ida. Au cours des siècles, des oulémas (comme Al-Tabarî[2] ou Ibn al-Athîr[3] ) ont interprété ces versets de la manière suivante : les musulmans doivent montrer ou démontrer toute leur force, sans nécessairement l'utiliser, afin de dissuader l'ennemi et d'éviter, autant que faire se peut, le recours à la violence. Ces interprétations ont permis, notamment, de développer l'art politique et diplomatique de la négociation, et de justifier les alliances régionales et internationales. Afin d'empêcher que la violence ne soit banalisée, ou détournée d'objectifs clairement établis, d'autres juristes musulmans (Ibn Taymiyya , Al Bayhaqi, Al Boukhri) ont distingué une violence « légitime », autorisée, et une violence « illégitime », interdite.

• Violence « légitime » : Elle doit être pensée, définie et gérée par l'autorité établie (représentée par l'Etat dans la période contemporaine), et non par des individus ou des organisations. Le droit et le devoir de protéger un territoire et des institutions sont justifiés, tout comme celui de protéger les sujets ou citoyens, ainsi que leurs biens, à l'encontre de toute violence commise par des malfaiteurs, des criminels, des bandes organisées. Cette autorité a la capacité et la nécessité de faire peur à l' « ennemi » pour l'empêcher de passer à l'acte.

• Violence « illégitime » : C'est celle qui effraye et fait des victimes parmi les populations, qui sabote et détruit les institutions, publiques ou privées, qui s'en prend aux biens d'une façon abusive, injuste et injustifiée. La question qui se pose est, bien sûr, celle de savoir qui qualifie de « juste » ou d' « injuste » une violence.

  1. Ibn Manzûr (1233-1312)

    Un des linguistes arabes les plus réputés et pertinents dans le monde arabo-musulman. Son chef-d'œuvre, qui est également un testament, le Lisan al-‘Arab, reste une source incontournable pour comprendre l'origine et l'étymologie des mots dans la langue arabe.

  2. Al-Tabarî (839-923)

    Auteur connu comme le plus illustre des historiographes arabes. Il a rédigé une œuvre monumentale qui n'a cessé de faire référence pour rendre compte des premiers siècles de l'islam : Histoire des rois et des peuples. Il est également l'auteur d'un Tafsîr (Commentaire du Coran) dont certains points n'ont cependant pas toujours fait consensus parmi les musulmans.

  3. Ibn al-Athîr

    Ibn al-Athîr (1160-1231) : Historiographe sunnite, né dans une tribu de langue arabe établie en Anatolie. Il fait des études à Mossoul. Il participe au jihâd contre les Franj-s dans ce qui a été postérieurement appelé la troisième croisade. Il rédige des chroniques de ces événements. Son œuvre principale a pour titre Al-Kâmilfî al-Târîkh, ce qui peut être traduit par « La totalité dans l'histoire » ou « L'histoire globale ».

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