Introduction
Les violences religieuses du XVIe siècle connaissent des formes changeantes, à la charge symbolique variable. Le poète Agrippa d'Aubigné[1] distingue dans ses Tragiques deux périodes : le « temps des feux » est l'époque des premiers bûchers des hérétiques, en d'autres termes le temps des martyrs ; leur succède le « temps des fers », temps de confusions et de convulsions, époque des guerres civiles et des massacres qui les accompagnent. Dans un troisième temps, après 1572 en France, à la fin du XVIe siècle dans les Pays-Bas, la violence massacreuse cède la place à une violence davantage intériorisée et localisée. C'est aussi le temps des premières commémorations et de la mise en place d'une mémoire des atrocités subies confessionnellement orientée.
Une véritable guerre de l'opinion se met en place, notamment via des publications qui célèbrent les victimes de la répression religieuse et leur martyre en discréditant la sauvagerie, voire la « barbarie » des persécuteurs. L'époque des guerres de religion remet au goût du jour les martyrologes, ces compilations de vies de martyrs qui cadencent le culte des saints depuis les premiers siècles de l'Église. Ces ouvrages jouent un rôle déterminant dans les entreprises de propagande que les différents camps confessionnels mettent en place et perfectionnent à partir du milieu du XVIe siècle et jusqu'au XVIIe siècle. Ils sont des outils efficaces au service des identités rivales mais aussi des armes redoutables dans les discours de haine. Les historiens se sont interrogés à raison sur le statut des martyrologes comme source fiable pour l'étude objective des réalités socioreligieuses qu'ils mettent en scène.
Côté protestant comme catholique, les auteurs des martyrologess'appuient sur le célèbre adage tiré de Tertullien[2] : « sanguis martyrum, semen christanorum » (Apologétique, 50, 13).Ce qui signifie : le sang des martyrs est la semence des chrétiens. La vogue du martyre relève d'abord de la nostalgie pour les débuts de l'Église, origine rappelée par les auteurs de martyrologes, qu'ils soient protestants comme Jean Crespin[3] ou catholiques comme Richard Verstegan[4] . Pour les protestants, le fait d'inscrire leurs coreligionnaires martyrisés dans la longue lignée des martyrs chrétiens des premiers siècles donne aussi plus de légitimité et à leur sacrifice et aux propos martyrologiques qui célèbrent celui-ci. Au-delà, il s'agit de montrer que les nouveaux courants sont davantage fidèles à l'héritage du christianisme primitif que l'Église romaine.
Les auteurs réformés, qui récusent la vénération des saints, veulent éviter d'ériger leurs martyrs en saints et donc de transformer leurs martyrologes en nouvelles hagiographies. Répondant aux critiques des catholiques, qui ne manquent pas de mettre en évidence le paradoxe, les protestants insistent sur le fait que les martyrs ne souffrent que pour eux-mêmes, que les vivants ne peuvent espérer d'eux aucune intercession. Ils rejettent le culte des reliques comme une forme d'idolâtrie qui avilit la souffrance du martyr. Par ailleurs, ils n'incluent pas de représentations figurées de leurs martyrs. Les catholiques exploitent en revanche largement les possibilités de l'image, vecteur majeur de sens et d'émotion ; leurs martyrologes sont riches en gravures très parlantes, ce qui leur donne un côté bien plus spectaculaire.