Les mandalas comme expression du cosmos bouddhique
Formellement, les mandalas[1] sont des illustrations graphiques du cosmos bouddhique, sous la forme d'un diagramme représentant des divinités bouddhiques dans un arrangement géométrique plus ou moins complexe. Ce sont le plus souvent des peintures sur toile ou papier, mais les mandalas peuvent aussi être tridimensionnels et se présenter sous la forme d'un groupe de statues ou d'instruments rituels. Les divinités bouddhiques[2] sont soit représentées sous leur forme humaine (en deux ou trois dimensions), soit symbolisées par un attribut qui leur est propre (joyau, bol, épée, corde, etc.) ou par une syllabe sanskrite qui les identifie. On compte ainsi quatre types de mandalas différents, qui peuvent être combinés entre eux : grand mandala[3] , mandala des conventions[4] , mandala des syllabes[5] , mandala des activités[6] . Du point de vue de la composition des tableaux, un mandala peut représenter ou symboliser l'ensemble des divinités bouddhiques, une famille (ou une classe) de divinités seulement, ou une divinité individualisée.
L'origine des mandalas bouddhiques est difficile à déterminer, mais l'impulsion essentielle pour leur développement vient du bouddhisme ésotérique[9] , un courant tardif qui se forme en Inde entre les VIIe et VIIIe siècles, et se voit transmis presque simultanément au Tibet et en Chine, puis au Japon au tout début du IXe siècle. Le bouddhisme ésotérique est l'une des branches du bouddhisme du « Grand Véhicule », la forme de bouddhisme la plus répandue dans l'est asiatique. Pour les nombreuses écoles issues du Grand Véhicule à partir du tournant de l'ère chrétienne environ, l'Eveil bouddhique[10] est accessible à tous les êtres vivants et non pas seulement aux moines. En cela, il se distingue des écoles bouddhiques plus anciennes, en particulier celle du Theravâda[11] . Une autre différence entre tenants des deux courants de traditions réside dans le fait que le Theravâda considère qu'un seul bouddha vit à une époque donnée, alors que pour le Mahâyâna, des myriades de bouddhas et bodhisattvas[12] emplissent l'univers pour venir en aide aux êtres vivants dans leur quête spirituelle.
Le bouddhisme ésotérique repose sur des systèmes rituels élaborés. Il conduit plus loin l'idée d'une multitude de bouddhas dans les « Trois mondes » (passé, présent et futur) en lui ajoutant une notion différente, qui est celle d'émanation : tout élément de l'univers n'y est autre qu'une émanation ou une manifestation du Bouddha universel, appelé Mahâvairocana, le « Grand Illuminateur ». Le bouddhisme ésotérique va ainsi jusqu'au bout du principe d'accessibilité de la réalisation bouddhique, en posant un système d'osmose totale entre microcosme et macrocosme. Partant, tout être vivant participe non seulement de la nature de bouddha, mais a la capacité de la réaliser pleinement dans cette vie-même : il est possible à tout un chacun de couper la chaîne des transmigrations et de « devenir bouddha dans ce corps-même » (sokushin jôbutsu). Les mandalas de ce courant donnent à voir cette idée d'émanation : la divinité centrale, qui représente le Bouddha universel, soit la réalisation bouddhique, rayonne vers l'extérieur du mandala en créant des relations réciproques avec ses multiples manifestations, lesquelles renvoient à elles comme en un jeu de miroirs : le tout est l'un, l'un est le tout.
Le moine japonais Kûka[13]i est le fondateur de l'école du Shingon[14] , et l'une des figures religieuses les plus influentes de toute l'histoire japonaise. Initié au bouddhisme ésotérique lors d'un séjour en Chine, c'est lui qui théorise ce courant de la manière la plus approfondie. Il rapporte avec lui un grand nombre d'ouvrages et d'objets, qu'il décrit dans un catalogue. Sous la rubrique d'objets iconiques bouddhiques, il inclut des portraits de patriarches, ainsi que plusieurs mandalas, qui représentent pour lui non seulement un condensé de la doctrine ésotérique, mais de l'univers bouddhique tout entier. Les deux mandalas qui expriment par excellence cet univers sont le mandala de la Matrice associé à celui du Plan du Diamant, dont la première réalisation graphique est attribuée à l'entourage du moine chinois Huiguo[15] , le maître de Kûkai. Bien qu'il n'en soit pas une transcription graphique exacte, ce « Double Mandala » ou « Mandala des deux parties » (Ryôbu mandara), est rapporté aux deux écritures fondamentales sur lesquelles s'appuient les doctrines du bouddhisme ésotérique, soit le Sûtra du Grand Illuminateur, et le Sûtra du Sommet de Diamant[16] . Issus au départ de deux lignages ésotériques différents, ces deux sûtras[17] sont perçus par le bouddhisme ésotérique comme un tout à la fois indissociable et interdépendant.