L'élaboration de l'interdit aniconique à l'époque du Premier Temple
C'est à l'époque du Premier Temple[1] qu'est élaborée une politique hostile à l'égard de la représentation, c'est-à-dire d'un interdit aniconique[2] . Elle est le terme d'un processus complexe qui voit le passage du polythéisme païen au monothéisme juif. Ce commandement, considéré comme une loi divine, constitue l'un des fondements de la politique des souverains israélites. Elle est appliquée à plusieurs reprises et peut être perçue comme une attitude iconoclaste , c'est-à-dire intolérante à l'égard des images. L'interdit aniconique va de pair avec un interdit sonore. Il est en effet interdit de prononcer le nom divin. Ce dernier est composé de quatre lettres qui forment le tétragramme (יהוה), que l'on transcrit Yhwh et que l'on vocalise « Yahvé » ou « Yahou ». Afin de ne pas transgresser l'interdit, les Juifs prononcent « Adonaï » lors des prières et « haShem » (« le Nom ») dans la vie quotidienne.
Mais les découvertes archéologiques ont obligé à concevoir d'une façon différente cet interdit aniconique. Plusieurs indices révèlent que le culte de Yhwh repose en fait sur des statues, au moins dans le royaume d'Israël[3] . Par exemple, lorsqu'il pille Samarie, Sargon II[4] amasse un butin considérable, qu'il détaille soigneusement dans une inscription, où il est précisé qu'il emporte « les dieux en qui ils [les Israélites] se confiaient » : ces dieux ne peuvent être que des statues. Cette source matérielle confirme le contenu du Livre d'Osée, dans lequel les habitants du royaume d'Israël sont présentés comme honorant Yhwh sous la forme d'un veau . Si le culte est clairement iconique et polythéiste dans le royaume d'Israël, la situation est plus difficilement perceptible dans le royaume de Juda[5] . Les scribes y évoquent l'usage puis l'interdiction de massebot[6] qui sont associées au culte de Yhwh . Ces interdictions sont assumées par les souverains de Juda, notamment Ézéchias[7] et Josias[8] , au cours du VIIe siècle. Mais les éléments paraissent suffisamment nombreux pour accréditer l'idée que Yhwh possède une statue, qui n'est pas concernée par l'interdit aniconique. L'argument le plus convaincant se trouve dans les Psaumes : l'expression « voir la face de Yhwh », qui apparaît très fréquemment, montre en effet que Yhwh peut être vu. Cette représentation est confirmée dans le Livre d'Isaïe, où l'auteur raconte avoir vu Yhwh sur un trône orné de chérubins[9] et entouré de séraphins[10] , dans le debir[12] , lieu pourtant inaccessible aux hommes, sinon au grand-prêtre[11] une fois par an.
Ces références conduisent à lire le commandement contenu dans le Livre de l'Exode, écrit à cette période, comme un ensemble de plusieurs interdits précis. Le premier réserve l'usage du Temple au culte de Yhwh seulement : il est interdit d'y placer la statue d'un autre dieu (« Tu n'auras point d'autre dieu que moi [...]. Tu ne te prosterneras point devant elles, tu ne les adoreras point »). Le deuxième assure l'exclusivité de la statue de Yhwh qui se trouve dans le Temple : il empêche la fabrication d'une nouvelle statue de Yhwh pour un autre sanctuaire (« Tu ne te feras point d'idole...»). Le dernier interdit plus généralement la production de toute image et prône une politique aniconique («... ni une image quelconque de ce qui est en haut dans le ciel, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux au-dessous de la terre »). Après le sac du Temple en 587, le sort de la statue devient plus incertain, de même que celui de l'Arche.