Lectures contemporaines de l'affaire Galilée - Ueli Zahnd

L'affaire Galilée : faits historiques

Né en 1564, Galilée étudie et puis enseigne la mathématique à Pise et Padoue. A partir de 1610, il est le mathématicien de la Cour du grand-duc de Toscane[1], position qui lui permet de s'occuper entièrement de ses recherches scientifiques. A l'aide de lunettes – à l'époque un nouvel instrument qu'il prétend même avoir inventé – Galilée peut constater de nouveaux faits astronomiques : 1) la lune n'est pas plate et le soleil a des taches – ces astres sont donc imparfaits, ce qui contredit la philosophie aristotélicienne[2]; 2) il y a des corps célestes qui ne tournent ni autour de la terre, ni autour du soleil (par ex. les lunes de Jupiter) ; 3) le nombre des étoiles est beaucoup plus grand que ce que l'on pensait auparavant.

C'est dans ce contexte que Galilée prend connaissance, en 1615, de l'affaire Foscarini. Paolo Antonio Foscarini[3], un moine carmélite, publie un livre dans lequel il veut démontrer que la doctrine copernicienne ne contredit pas le texte biblique et ses interprétations traditionnelles, malgré tous les passages qui évoquent le mouvement du soleil. Ce livre provoque immédiatement la censure inquisitoriale[4], et Robert Bellarmin[5], un des cardinaux les plus influents de l'époque, instruit un procès contre Foscarini. Spectateur de ces développements, Galilée écrit une lettre à Christine de Lorraine[6], grande-duchesse de Toscane. Cette « lettre copernicienne » n'est pas publiée avant 1636, mais elle est déjà diffusée en 1615 de sorte que la position de Galilée est bien connue dans certains milieux italiens. Il y défend Foscarini et le système copernicien en présentant une herméneutique[7] qui considère la raison comme un don de Dieu autant que la parole considérée comme « révélée ». Ainsi, peut être décidé par la raison ce qui ne touche pas à ce qui est censé sauver les hommes.

La question de savoir lequel des corps célestes tourne autour de l'autre fait partie, pour Galilée, du domaine des choses insignifiantes pour le salut humain. Tout au contraire, il ne serait pas judicieux d'interdire l'usage de la raison en ce domaine, car, précise-t-il en se référant à Augustin d'Hippone[8], cela pourrait même desservir la réputation du christianisme. La situation s'envenime et le procès contre Foscarini est accéléré. Galilée lui-même se rend à Rome pour empêcher une interdiction de la doctrine copernicienne, mais le procès se termine en 1616 avec une censure du livre de Foscarini et la mise à l'index de quelques écrits mineurs de Copernic. Cependant, le système héliocentrique en tant que tel n'est pas interdit, il est reconnu comme un « modèle mathématique ». Galilée qui n'est pas touché en personne par la censure, est tenu dans une lettre que Bellarmin lui adresse, d'enseigner la doctrine copernicienne seulement comme hypothèse équivalente ou inférieure à celle de Ptolémée.

Au cours des quinze ans qui suivent, Galilée ne s'exprime plus publiquement sur la doctrine copernicienne même si, en 1624, il est invité par le pape Urbain VIII[9] (lui-même ancien élève de Galilée) à le faire, pour autant qu'il traite cette doctrine comme simple hypothèse. Ralenti par son état de santé et occupé par d'autres projets qui ne semblent pas moins attirer l'attention de certains jésuites[10] craignant que sa nouvelle physique atomiste ne compromette la doctrine de transsubstantiation[11], ce n'est qu'en 1632 que Galilée publie un Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Comme le titre de l'ouvrage l'indique, Galilée y confronte, sous forme de dialogue, le modèle héliocentrique au modèle géocentrique, approche qui lui permet de se présenter comme défenseur des deux modèles tout en se cachant, pour ce qui concerne l'héliocentrisme, derrière l'un des intervenants fictifs du dialogue. Mais la présentation des deux systèmes est loin d'être équilibrée : les préférences de Galilée sautent aux yeux déjà du fait que le défenseur de Ptolémée s'appelle Simplicio (le simple [d'esprit]) ; qui plus est ce Simplicio porte les traits caricaturaux d'Urbain VIII.

La publication de ce Dialogue tombe mal. Dans le contexte de la guerre de Trente Ans[12], le pape cherche à s'approcher du parti espagnol qui est représenté, à Rome, par les jésuites. Or, pour la Compagnie de Jésus, Galilée est depuis longtemps suspect d'hétérodoxie. En 1633, Galilée est convoqué devant un tribunal de l'Inquisition et se voit condamné pour avoir propagé le système héliocentrique (qu'il a seulement favorisé) et pour avoir désobéi à la « décision » de 1616, c'est-à-dire à la lettre officieuse de Bellarmin. Cette condamnation repose sur des faits très douteux, à tout le moins discutés, et illustrent surtout un rapport de forces internes à l'Eglise catholique. Trois des dix cardinaux responsables s'abstiennent de signer la condamnation qui, cependant, est modeste : en abjurant ses erreurs Galilée est assigné à résidence. S'engageant à ne plus voyager, Galilée obtient le droit de continuer ses travaux mathématiques et physiques, mais non plus astronomiques.

  1. Cosme II de Médicis

    (1590-1621) fils de Ferdinand 1er de Médicis et de Christine de Lorraine, il est grand-duc de Toscane de 1609 à 1621.

  2. Philosophie aristotélicienne

    pensées et systèmes de pensées dont les auteurs se réclament d'Aristote (384-322 av. J.-C.), philosophe grec et précepteur d'Alexandre le Grand. Elle constitue l'une des références philosophiques majeures dans les sociétés de langue grecque, syriaque, arabe et latine de la fin de l'Antiquité aux Temps dits « modernes ».

  3. Paolo Antonio Foscarini

    (1565-1616) professeur de théologie et de philosophie à l'université de Messine.

  4. Inquisition

    Institution établie par le pape Innocent III, au XIIIe siècle, dans le but de lutter contre l' « hérésie ». Elle vise d'abord les Cathares et les Albigeois. Aux XVe et XVIe siècles, elle constitue un instrument utilisé par l'Église espagnole, en accord avec les souverains, pour lutter contre toute forme d' « hétérodoxie », notamment à l'encontre des « nouveaux chrétiens ». Il s'agit d'une institution qui permet de dépasser la simple union des deux couronnes (Castille et Aragon) pour donner à l'Espagne l'identité souhaitée par ses souverains. Tribunal ecclésiastique destiné à juger la conformité d'une doctrine par rapport aux dogmes défendus par l'Eglise catholique romaine.

  5. Roberto Francesco Romolo Bellarmino

    (1542-1621) théologien jésuite italien, chef de fil des spécialistes de l'apologétique dans les controverses confessionnelles du tournant du XVIIe siècle ; il a été canonisé et fait docteur de l'Eglise catholique.

  6. Christine de Lorraine

    (1565-1637) fille de Charles III, duc de Lorraine et de Claude de France, mariée en 1589 à Ferdinand 1er, grand-duc de Toscane, et mère de Cosme II de Médicis.

  7. Herméneutique

    art d'interpréter et d'expliquer un texte, notamment le texte biblique.

  8. Aurelius Augustinus

    (354-430) païen converti au christianisme, évêque d'Hippone et père de l'église latine le plus important.

  9. Maffeo Barberini

    (1568-1644) étudiant de Galilée à Pise et pape de 1623 à 1644.

  10. Jésuites

    Religieux catholiques dont une des caractéristiques est de prononcer un vœu d'obéissance spécifique au pape.

  11. Transsubstantiation

    selon la doctrine catholique romaine, lors de l'eucharistie la substance du pain et du vin est convertie en corps et sang du Christ, tandis que leurs propriétés sensibles (leurs « accidents ») demeurent.

  12. Guerre de Trente Ans

    série de conflits très sanglants de 1618 à 1648 qui a impliqué la majorité des puissances européennes.

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