Le Phénix dans les sources arabo-musulmanes
L'expression « sources arabo-musulmanes »
désigne ici ceux qui, hommes de lettres, géographes qui ont écrit en langue arabe durant une période qui s'étend du VIIIe siècle au XVIe siècle. Ces sources parlent du phénix en utilisant trois mots : ‛Anķa', Phokays et Phakannas. Le mot ‛Anķa' est souvent suivi de mughrib en épithète ou en rapport d'annexion. Cela désigne un volatile qui se rapproche du Phénix. La croyance en cet animal est ancienne parmi les tribus qui habitent la péninsule arabique, elle est mise en relation avec les Ashāb al-Rass[1]. Le Phénix est également cité dans un hadith[2] rapporté par Ibn ‘Abbās[3]. Il ressort que la ‛Anķa' est créée par Dieu, primitivement douée de toutes les perfections, mais devenue un fléau. C'est à l'un des prophètes de l' « intervalle » (fatra[4]), soit Khālid b.Sinān[5], soit Hanzla b.Safwān[6], qu'est attribué le mérite d'avoir mis fin aux dégâts commis par ce volatile par éloignement ou extermination.
En contexte musulman, la 'Anķa est assimilée au Sīmurgh[7] qui joue un rôle dans la mythologie iranienne. Un groupe chiite, les Shumaytiyya[8], l'adopte pour la faire entrer dans les attributs de l' « Imam caché[9] »
. Plusieurs auteurs laissent des descriptions de cet animal tout en reconnaissant que c'est une espèce disparue. Zakariyā al-Ķazwini[10] signale que la ‛Anķa' est un oiseau extraordinaire, le plus grand et le plus considérable. Il le décrit aussi lorsqu'il se transforme en un fléau et qu'il viole les gens dans leurs maisons. Il lui attribue une durée de vie de 1700 ans, précisant qu'il se marie à 500 ans. Lorsque l'œuf se brise, écrit-il encore, mais le poussin patiente et ne sort qu'après avoir atteint l'âge de 125 ans. Le phénix femelle se jette dans le feu et s'y brûle, et le poussin femelle épouse le mâle qui subsiste ; lorsque la ‛Anķa' est un mâle et que celui-ci s'immole par le feu, sa progéniture s'associe par le mariage à la femelle qui subsiste. Dans une autre édition du même ouvrage, Zakariyā al-Ķazwini, parle d'un oiseau qu'il appelle Phokays originaire de l'Inde. En se mariant, il amasse du bois, frotte son bec sur celui de la femelle afin que le feu s'allume, puis tous deux s'immolent ; si la pluie tombe sur leurs cendres, des vers naissent qui reçoivent des ailes et se transforment de nouveau en oiseaux.
Les Lettres des Ikhwan al-Safa[11] (Rass'il Ikhwān al-Safa) font référence à ce volatile qui apparaît comme le chef des faucons, mais il n'est fait aucunement mention de mort et de renaissance à son sujet. Dans l'œuvre encyclopédique que constitue la définition des termes arabes du Lisan al-‘Arab, Ibn Manzur[12] prétend que l'un des sens du mot « Phénix »
est « chameau étalon »
. Al-Dimyari[13] reproduit quasi littéralement le même récit que Kazwini, mais il parle aussi d'un autre animal qu'il surnomme Fahl al Phiniq (« Phénix étalon »
), assimilé à un chameau puissant qu'il ne relie pas à Phokays. Le phénix est encore connu sous un autre nom, celui de Phakannas [doc. n°15 : texte de Fîrûzâbâdi] dont la racine –comme celle du Phokays- renvoie au grec « Phénix »
. D'après Fîrûzâbâdi[14], il s'agit d'un oiseau énorme, dont le bec a quarante trous, qui chante de belles chansons, puis vole et atterrit au sommet d'une montagne, amasse du bois et se lamente quarante jours durant puis, devant des personnes, il se place dans un feu pour s'y brûler, se transformer en cendres, et redevenir l'oiseau d'antan.
Pour parler de cet oiseau extraordinaire, les sources arabo-musulmanes utilisent pour partie des sources antiques classiques et des termes qui viennent du grec. Les auteurs réemploient également des éléments de récits antérieurs, en introduisant avec des modifications (l'Inde se substitue à l'Arabie dans un cas). Le plus remarquable est, cependant, que la notion de « renaissance »
après la « mort »
est absente ou traitée de manière parcimonieuse et, en tous les cas, jamais identifiée à une « résurrection »
. Il y a là une manière de ne pas contredire les dogmes musulmans et de conforter l'idée que les anciens dieux ne sont que des « idoles »
et leurs adeptes des « égarés »
.
Le Phénix qui renaît de ses propres cendres est un symbole de régénération connu dans des sources diverses et ayant acquis une dimension universelle. Son mythe, d'origine phénicienne ou égyptienne, a été mis par écrit au terme du voyage en Egypte accompli par Hérodote au milieu du Ve siècle avant J.-C. Les autres écrivains qui s'en sont inspirés, romains, chrétiens et musulmans, ont reproduit la structure du récit avec des aménagements qui étaient fonction de connaissances et de convictions diverses, mêlées d'autres influences.