Le temple d'Echmoun à Sidon
Le bâtiment aux frises des enfants
Cet édifice se compose d'une cour à ciel ouvert, de chapelles et d'entrepôts d'objets de culte, d'offrandes ou de sculptures votives c'est-à-dire destinées à remercier les divinités pour leurs grâces. La fonction de cette construction n'est pas spécifiée. Il peut s'agir d'un logement de prêtres, d'une chapelle cultuelle, d'un espace dédié aux cures médicales, d'un lieu de réunion d'un thiase ou d'un koinon du personnel, d'un simple lieu de stockage, ou même du siège d'un groupement de commerçants ou d'une corporation. Une frise sculptée dans une pierre locale rappelle des processions de chasse qui renvoient à la légende d'Echmoun, des jeux d'enfants qui montrent la spécialité de ce dieu, et des scènes de culte. Sur un bloc isolé, un jeune garçon, un mantelet autour des reins et retenu sur le bras gauche, ayant des verroteries ou des osselets dans la main, cherche à saisir un coq. La scène fait référence à la pratique selon laquelle, en guise de reconnaissance, les malades sacrifient un coq, symbole du jour nouveau, à Echmoun-Esculape. Elle rappelle également les dernières paroles de Socrate[1] qui affirme devoir« un coq à Asclépios »
, puisqu'il le libère par la mort.
Le trône vide d'Astarté
Au pied du temple, adossé à lui, se trouve les restes d'un sanctuaire consacré à Astarté. Ce temple inférieur est constitué d'une piscine pavée et d'une salle carrée où se trouve le « trône vide d'Astarté »
qui représente la statue de culte. Il est sculpté en un seul bloc de granit et placé contre le mur de fond de la chapelle, dans une niche au-dessous de la frise. Il est flanqué de deux sphinx, décoré d'une moulure de style pharaonique, et entouré de deux sculptures de lions. Astarté est associée à un nouveau type de d'iconographie. Elle a une image qui ne montre aucun élément humain. Sa présence se résume à un siège vide avec des accoudoirs en forme de sphinx. Le trône vide est, à l'instar du bétyle[2], élément de vénération. Pour se soigner, et recevoir la grâce des dieux Baal, Astarté et Echmoun, les croyants viennent se baigner dans l'eau sacrée de la piscine du trône. Ce bassin perd sa fonction au cours du IIe siècle ap. J.-C. Il est alors rempli avec de la terre et des fragments de statues. Tout près du temple se succèdent plusieurs bassins d'eau, alimentés aussi par la source Ydlal, qui ont une fonction rituelle.
Le temple-boy
Ce temple comprend de nombreuses statues votives inscrites au nom des fidèles. Une inscription trouvée sur un socle, réalisé vers la fin du Ve siècle av. J.-C., indique que certaines personnes font la garde des statues et des entrées. Les corps athlétiques font songer aux vainqueurs des jeux venus remercier Astarté. L'influence grecque de l'époque archaïque[3] est apparente. L'empreinte phénicienne se retrouve dans la coiffure lourde aux lignes sinueuses, le traitement des yeux en amandes est égyptien, le nez droit et le large sourire rappellent le kouros[4], mais ici le corps est revêtu d'un habit. A leurs côtés, renvoyant peut-être à la fonction d'Echmoun comme guérisseur des enfants, une myriade de statues représentent en taille réelle des garçons âgés d'un à cinq ans (deux fillettes seulement ont été répertoriées) : ils sont nus pour la plupart, debout, assis ou accroupis ; certains jouent avec un animal ou un objet sur une base portante. Une autre œuvre, datant du IVe siècle av. J.-C., représente un garçon à la tête rasée, le torse nu et le bas du corps enveloppé dans un grand drap, qui tient un pigeon à la main droite (image courante chez les Phéniciens) et pose sa main gauche sur une tortue, symbole de longévité, de sagesse et de prudence. L'inscription phénicienne de Baalshillem demandant la bénédiction du dieu Echmoun montre le caractère curatif et royal du temple.
« Cette statue qu'a donné Baalalchillem, fils du roi Baana', roi des Sidoniens, fils du roi Abdamor, roi des Sidoniens, du roi Baalchillem, roi des sidoniens, à son seigneur Echmoun de la source Ydlal. Qu'il le bénisse ! »
Collectif, Institut du monde arabe, Liban, l'Autre rive, Paris, Flammarion, Paris, 1998, p. 137.
Aux alentours du temple-boy, 3000 perles de verre non moulées, en forme de gouttes de verre fondu, ont été découvertes. Ces verroteries, qui n'ont pas d'équivalent ailleurs, sont destinées à distraire les enfants présentés au temple. Une dizaine d'urnes, porteuses de dédicaces en grec ou anépigraphes, taillées en pierre plein, peuvent être liées à la vie du lieu saint : selon Dunand, elles représentent le bétyle de l'Astarté sidonienne. Le dernier lieu de culte est une chapelle au contrebas du podium. Hygie, trône dans un cippe[5] sacré caché. Elle est debout, habillée d'une grande tunique à plis qu'elle porte sur son bras gauche tout en tenant une coupe qui a dû contenir un œuf de pierre pouvant être le remède. Sur son autre main, un serpent –symbole de purification et de vigilance- enroulé s'approche de la coupe, utilisée comme emblème pharmaceutique. Une dernière pièce présente un intérêt majeur, un texte gravé sur un fragment de pierre mutilée datant du IIe siècle faisant référence à l'Asklépieion de Sidon. Il suggère que le culte de la déesse Panakieia, fille d'Asclépios est pratiqué et que sa statue trône probablement dans l'enceinte du temple Echmoun/Asclépios.
La tribune ou pseudo-tribune
Exécutée dans le style grec attique[6], une tribune ou pseudo-tribune, est sculptée vers 350 av .J.-C., période troublée pour Sidon. Elle a été découverte près d'un cippe, d'une plate-forme et d'un trône d'Astarté ce qui atteste sa fonction cultuelle. Le trône confirme la continuité du culte phénicien traditionnel en dépit des transferts culturels grecs. Les accoudoirs sont ornés de sphinx ailés. Une déesse vêtue d'une longue tunique drapée est assise sur un trône flanqué de deux quadrupèdes. Aux extrémités du dossier sur lequel elle n'est pas appuyée, deux colonnes sont surmontées de médaillons ornées de têtes hathoriques. La tribune présente trois faces visibles, revêtues de plaques de marbres reliées entre elles et à la maçonnerie par des agrafes en bronze. Elle est décorée par deux frises superposées en haut relief, de composition symétrique et de même hauteur. Le registre supérieur de la face principale montre la réunion des divinités grecques : parmi elles, il y a au centre le dieu grec Apollon jouant de la cithare, et à ses côtés Athéna[7] tenant son casque. Le registre inférieur représente des personnes qui dansent aux sons d'une cithare et d'une flûte et un satyre[8] entrainé par une ménade. Cette iconographie pose des problèmes relatifs à l'attribution respective de ce qui relève du culte phénicien et du culte grec, les spécialistes proposent des interprétations parfois contradictoires et aucune découverte n'a permis de trancher de manière définitive.
L'absence de tombe aux alentours du temple permet d'affirmer que le culte d'Echmoun n'est pas lié à la mort. Ce culte s'éteint avec la construction d'une église byzantine. Une « tombe d'Echmoun »
(Qabr Šmün) a été repérée près de Beyrouth. A Sidon, les eaux conservent un pouvoir d'attractivité jusqu'au début de la période musulmane. Puis, une grande partie du temple disparaît par l'effet du temps, du réemploi de matériaux pour d'autres constructions –au XVIIe siècle, l'émir Fakhr al-Dîn[9] fait bâtir un pont sur le fleuve al-Awwali avec des pierres de ce qui est alors considéré comme une carrière-, du vol, des guerres (jusqu'à celles de 1975-1990) et des destructions volontaires parfois pour des motifs religieux.