Politique, religion et constructions étatiques (XIe–XVIe/XIXe siècles)

La décomposition du pouvoir central

Vu depuis l'Europe, le Maroc apparaît, au début du XVIIe siècle, comme un Etat fort, unifié et prospère que nul voisin ne songe sérieusement à inquiéter. Or, une partie du Souss est sous le contrôle de la Zawiya d'Illigh, des plaines du nord-ouest sont contrôlées par le marabout El-Ayyâchî[1], l'embouchure du Bouregreg constitue une entité autonome dirigée par les Morisques[2], Tétouan est une cité-Etat gouvernée par la famille Naqsis et le Tafilalet est contrôlé par les Alaouites. Affaibli par de multiples conflits politiques et religieux, cet ensemble n'est cependant plus menacé à l'extérieur, sinon par quelques tentatives conduites par les Espagnols et les Ottomans. La décadence saadienne peut être ramenée à trois facteurs distincts : la faiblesse du pouvoir central et les luttes entre prétendants ; la crise de l'économie marocaine, résultant d'une conjoncture internationale défavorable ; l'apparition de forces locales centrifuges représentées principalement par les zawiyas. Ces handicaps se multiplient au cours d'une période où le monde centré autour de la Méditerranée connaît une mutation capitale et entame une transformation économique et technique qui prépare l'ère industrielle. Durant cette longue période historique, le Maroc sous le pouvoir des Alaouites reste en marge, le pays est isolé et victime de troubles internes fréquents.

Au début du siècle, Abû Mahallî[3], personnalité mystique, jurisconsulte respecté, grand marabout du sud marocain à la fois guerrier et politique de la Zawiya al-Qâdî, se présente comme le Mahdi[4], « l'envoyé de Dieu » pour mener la « guerre sainte » et réformer le pays. En mars 1611, il s'empare du Tafilalet qui contrôle la route de l'or, puis part à l'assaut de Marrakech. Son geste ressemble, par bien des aspects, à celui d'Ibn Tûmart[5], fondateur de la dynastie mu'munide auquel il fait d'ailleurs référence dans ses écrits. Devenu tout puissant, Abû Mahallî semble gagné par l'ivresse du pouvoir. Il s'accorde certains attributs autrefois réservés au calife : la khotba[6] est dite en son nom dans les mosquées ; la monnaie d'or est également frappée à son nom ; une réforme des mœurs est imposée en vue de donner davantage de vitalité à la religion. En 1613, cependant, il doit faire face à une réaction du sultan Mawlây Zaydân[7] qui s'appuie sur un marabout du Souss, Sîdî Yahyâ, pour le discrédite sur le plan religieux et le vaincre militairement.

  1. Ahmad al-Mâlaki al-Zayyânî dit Al-Ayyachi (1563-1641)

    Marabout dont les origines (berbères ou arabes) sont disputées. Formé à Salé, auprès de l'ascète pieux Abû Muhammad ‘Abdallah ibn Hassûn. Etabli dans la région d'Azemmour, il participe aux combats contre la garnison portugaise de Mazagan. Il dirige la lutte contre les « infidèles » dans la région des Doukkala. Il en est chassé par le sultan Mawlây Zaydan, autour de 1618, dans des circonstances qui restent encore obscures. Pendant un quart de siècle, il mène d'autres actions, religieuses, sociales et militaires. Il est assassiné en 1641, après une rencontre avec les Dilaîtes.

  2. Morisques

    De l'espagnol Morisco (« petit maire ») : musulmans convertis, de gré ou de force, au catholicisme après l'abrogation par les rois catholiques (Ferdinand d'Aragon et Isabelle d'Espagne) des accords qui leur permettaient de conserver leur foi et leurs coutumes musulmanes sur le sol espagnol.

  3. Abû Mahallî ou Ibn Abî Mahallî (m. 1613)

    Prédicateur et auteur, il est le dernier « Mahdî » à avoir pris le pouvoir au Maghreb.

  4. Mahdi

    Le mahdisme est une doctrine inspirée de la pensée traditionnelle chiite. Le mahdi est le « bien guidé » attendu. Dans la tradition musulmane, il est la personne qui doit apparaître à la « fin des Temps » pour instaurer la justice et réformer ce qui a corrompu l'état des hommes. Il rassemble en sa personne l'autorité politique et religieuse au nom de la direction de la communauté musulmane. Nombre de personnes ont prétendu à ce titre au cours de l'histoire de l'islam, ils sont le plus souvent qualifiés d' « usurpateurs ».

  5. Ibn Tumart (v. 1080- v. 1130)

    Mohamed Ibn Abdallah, Berbère né dans le Souss, au sud du Maroc actuel. Il acquiert une formation religieuse en Orient. Il est le fondateur du mouvement Almohade et son théoricien (cf. « Les Almohades : une théorie du pouvoir spécifique dans un ensemble composite »).

  6. Khotba

    Prédication (ou prêche) faite par l'imam lors de la prière du vendredi.

  7. Mawlây Zaydân ou Moulay Zidan

    Son règne (1603-1627) est marqué par les conflits avec ses frères, les fils du défunt sultan al-Mansûr. Savant et homme de lettres, il parvient à maintenir un fragile équilibre en dépit de forts troubles tribaux. L'élan politique est entravé et un déclin suit l'essor économique qui a marqué le règne d'Al-Mansûr.

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