La France : un édit de pacification
En France, la situation est différente. Le royaume est plus centralisé que tout autre en Europe, et peut-être plus conscient de son unité que ne l'est l'Empire romain germanique. Par le concordat de Bologne[1], en 1516, le roi François Ier[2] obtient de forts moyens de pression sur l'Eglise. Il a la haute main sur 110 évêchés et 4 000 monastères. Toutes les prélatures du royaume sont entre ses mains. Il y place les hommes dont il estime les qualités et dont il entend récompenser les services. Il est donc le maître incontesté des structures ecclésiastiques, comme il l'est de l'organisation civile. Servir Dieu, c'est servir le roi, cette conviction est verbalisée dans la formule rendue publique et largement diffusée : « une foi, une loi, un roi »
.
La Réforme se répand dès les années 1525, d'abord en provenance d'Allemagne, puis sous l'influence de Jean Calvin[3], réfugié à Genève et organisateur, depuis cette ville, de la Réforme dans le royaume de France. Le pouvoir, après quelques années d'incertitude, tente une politique de répression par la force. Le tournant date de 1543. La répression fait des « martyrs »
, et le nombre des « adeptes de la nouvelle foi »
ne fait qu'augmenter. L'apogée est atteint autour de 1559, où l'on estime que la Réforme regroupe près de 2 millions de personnes, soit environ 10% de la population. Or, cette même année, le roi Henri II[4] meurt accidentellement dans un tournoi, laissant quatre fils dont l'aîné, François II, n'est âgé que de quinze ans, sous la tutelle de leur mère Catherine de Médicis[5], qui ne tarde pas à prendre le pouvoir. Ayant pu constater l'échec des mesures de force, elle se fixe pour but de maintenir l'équilibre entre les différents partis, ne serait-ce que pour sauvegarder le royaume de ses enfants. Elle tente d'abord, comme cela avait été le cas en Allemagne, la conciliation. Elle y est aidée par un parti de modérés, dont les membres sont qualifiés de « Moyenneurs »
, selon un mot de Calvin qui manifeste ainsi sa méfiance à leur égard. Un concile national est organisé, appelé « colloque » pour ménager Rome. Les moyenneurs font face à deux extrémismes : celui des calvinistes et celui de la majorité des catholiques. Le colloque est un échec, il débouche, comme en Allemagne, sur la solution militaire.
La France est, dès lors, ravagée pendant plus de trente ans par huit guerres successives, sans qu'aucun des deux camps ne soit en mesure de l'emporter véritablement. A la différence de ce qui s'est passé en Allemagne, ces guerres n'opposent pas souverains catholiques et souverains protestants, mais sont de véritables guerres civiles, la fracture religieuse traversant tous les milieux sociaux. Elles se révèlent inefficaces : les périodes de violence, puis celles d'accalmie, souvent par épuisement général des combattants, se succèdent. Elles sont sanctionnées à chaque fois par des édits de « paix »
, très éphémères. Elles détruisent les fondements de la vie en société, jetant les habitants d'une même ville, les gens d'une même famille, les uns contre les autres. Sans même parler de leurs conséquences humaines et économiques, elles ruinent aussi complètement le sentiment religieux, et menacent de faire triompher l'athéisme selon une crainte exprimée par le théologien protestant Théodore de Bèze. En outre, elles sapent l'autorité de l'Etat. A titre d'exemple, l'application de la justice est devenue pratiquement impossible. Aucun des trois partis en présence, ni celui des catholiques extrémistes, ni celui des protestants, ni celui des catholiques modérés dits « politiques »
ne parvient à l'emporter. Il revient à Henri IV[6] d'imposer une solution au problème ouvert par la Réforme, en signant, dans la discrétion, au mois d'avril 1598, l'Edit de Nantes qui met fin aux guerres de religion dans le royaume de France. Quelles sont, brièvement synthétisées, les clauses de cet édit ? Les protestants sont considérés désormais comme un « corps »
dans un Etat qui en comporte beaucoup (la noblesse, le clergé, le tiers état, les corporations, etc.). Ils bénéficient en tant que tels, sous l'autorité du roi et selon son bon vouloir uniquement :
D'une égalité civile avec les catholiques : ils peuvent acheter, vendre, se marier, tester, payer des impôts.
D'une égalité en matière d'éducation et d'assistance publique, et de l'accès à toutes les dignités.
D'une totale liberté de conscience (sans que l'expression ne soit cependant utilisée).
D'une liberté de culte, limitée mais réelle.
D'une capacité de résistance militaire conférée par l'octroi de places de sûreté
Le pouvoir royal en France, comme le pouvoir impérial des Habsbourg, est donc contraint d'accepter la bi-confessionnalité, faute d'avoir pu extirper les protestants. Et l'Edit de Nantes, comme la paix d'Augsbourg, est perçu comme un mal nécessaire. La religion protestante est reconnue comme un fait, elle est issue d'une rupture dont l'expérience, disent les protagonistes, montre que « Dieu seul peut y remédier »
. La place accordée au protestantisme est telle que ses membres se tiennent tranquilles, mais ce n'est en aucun cas une valeur positive. La solution française est, comme la solution impériale, une solution politique. Elle est cependant différente de celle de l'Empire : au lieu d'une juxtaposition d'Etats de confessions différentes, mais rigoureusement orthodoxes à l'intérieur de leurs territoires, le roi de France impose dans son royaume ce qui a été appelé postérieurement une « coexistence dans l'intolérance »
. Cette coexistence est réglée jusque dans les moindres détails par une multitude de clauses souvent très précises et minutieuses.