La défaite des jacobites irlandais
Jacques II, qui monte sur le trône à la mort de son frère Charles II, en 1685, est catholique. Il prend des mesures en faveur de ses coreligionnaires en promulguant deux Déclarations d'indulgence le 4 avril 1687 et le 27 avril 1688. Ces textes, qui accordent la liberté de conscience et de culte à tous ses sujets, exaspèrent les protestants qui y voient une étape vers le rétablissement du « papisme » honni en Angleterre. Lorsque le 10 juin 1688 la reine Marie de Modène[1] met au monde un héritier catholique, Jacques-Edouard, des évêques anglicans, des officiers et des nobles prennent aussitôt contact avec Guillaume III d'Orange[2], le stathouder[3] des Provinces-Unies qui a, à leurs yeux, le double mérite d'être gendre de Jacques II et protestant. Guillaume les aide : il débarque dans le sud de l'Angleterre le 16 novembre 1688, entre à Londres pendant que Jacques II se réfugie en France et accepte la Déclaration des Droits votée par le Parlement le 24 février 1689 qui fait de lui le nouveau roi d'Angleterre. Ces événements constituent ce que l'historiographie anglaise nomme la Glorieuse Révolution.
L'Irlande catholique resta fidèle à Jacques II, car elle redoute le calviniste Guillaume III. Elle sert donc de base au souverain déchu qui espère l'utiliser pour reprendre pied en Grande-Bretagne. Jacques II débarque à Kinsale en mars 1689 et peut compter sur l'aide du Lord Deputy, Richard Talbot[4], comte de Tyrconnell. Ses partisans, que l'on nomme les Jacobites, s'emparent de l'île où les protestants ne tiennent plus que deux villes : Enniskillen et Londonderry, assiégée sans succès jusqu'au début de l'été 1689. Ils font face aux Orangistes, qui bénéficient d'un double débarquement de troupes, celles emmenées par Schomberg et celles conduites par Guillaume III lui-même. Les deux armées, catholique et protestante, se rencontrent sur les rives de la Boyne le 12 juillet 1690 et se livrent une bataille vécue par chaque camp comme un jugement de Dieu : 36 000 Orangistes écrasent 25 000 loyalistes jacobites. Cette victoire confère au nouveau régime anglais une solide légitimité. Les Jacobites, démoralisés, refluent : ils perdent Cork et Kinsale pendant l'automne 1690 et les derniers combattants se replient à l'ouest du Shannon où ils sont battus le 12 juillet 1691 à Aughrim Hill. Leurs ultimes places fortes capitulent peu après, Galway le 21 juillet et Limerick en octobre. Les Orangistes sont en position de force pour conclure le traité de dit de Limerick (octobre 1691). Ils accordent la tolérance religieuse aux catholiques et autorisent environ 12 000 soldats loyalistes à quitter l'Irlande avec 10 000 femmes et enfants pour aller s'installer en France. Ces exilés, que l'on surnomma les Wild Geese (« Oies sauvages »), s'ajoutaient aux 4 à 5 000 soldats jacobites que les Français incorporent à partir de 1690 dans leur Brigade irlandaise qui sert la monarchie des Bourbons jusqu'en 1791.
Les catholiques restés en Irlande subissent à nouveau la loi du vainqueur. Ils sont exclus du Parlement irlandais, comme ils l'avaient déjà été de 1652 à 1662 et comme cela se pratique en Angleterre depuis 1678. Ils sont la cible d'un projet missionnaire anglican. A partir de 1695, les Penal Laws visent les chefs catholiques, non dans un but d'uniformisation religieuse, mais de domination politique et sociale offrant la possibilité d'augmenter le nombre des protestants. Ces lois interdisent d'envoyer les enfants de cette élite étudier à l'étranger (1695) et cherchent à priver les Irlandais de leur encadrement ecclésiastique : elles bannissent officiellement, pour près d'un siècle, les évêques et les clercs réguliers, c'est-à-dire les prêtres appartenant à un ordre religieux, comme les Jésuites (1697), ne tolérant plus qu'un prêtre par paroisse. En principe, comme les églises sont affectées à la seule Église anglicane, les messes sont célébrées dans des chapelles de fortune, chez des particuliers, voire en plein air. Toutefois, les évêques reviennent clandestinement, et les prêtres irlandais continuent à recevoir une formation dans les séminaires de Douai, Lille, Paris, Nantes, Bordeaux. La Poynings' Law est maintenue, et le Test Act[5] de 1704 exclut les catholiques et les dissenters (dissidents) de l'armée, de la milice, de l'administration centrale et locale et de la magistrature. Le gouvernement whig[6], qui dirige l'Angleterre au lendemain de la Glorieuse Révolution, est, en effet, décidé à écarter des responsabilités publiques les « papistes » et les protestants non anglicans qu'ils qualifient de dissenters. Dans le domaine commercial, les Anglais veillent à ce que les Irlandais ne les concurrencent pas trop. En 1699, le Parlement anglais interdit aux producteurs irlandais de textiles d'exporter leurs produits ailleurs qu'en Angleterre où ils devaient acquitter des droits de douane prohibitifs.
Les mesures prises ne frappaient donc pas les seuls catholiques ; elles touchèrent aussi les presbytériens d'Ulster qui doivent abandonner aux membres de la Church of Ireland anglicane les municipalités de Belfast et de Londonderry. Les grands bénéficiaires de cette législation sont les propriétaires protestants anglo-irlandais, très majoritairement anglicans, qui formaient la Protestant Ascendancy[7]. Les Anglo-Irlandais renforcent ainsi leur pouvoir. Les nouvelles confiscations de terres et l'exil d'Irlandais provoquèrent la diminution de la propriété foncière des catholiques : elle tombe à 14 % en 1703 puis à 5 % en 1776. Après 1688, Londres n'organisa plus de plantations, mais des dizaines de milliers d'Écossais des Lowlands poussés par la famine viennent s'installer en Ulster. C'est à partir de ce moment que les protestants, essentiellement des presbytériens, deviennent la principale communauté en Ulster. Au lendemain de la révocation de l'édit de Nantes (1685), une dizaine de milliers de huguenots viennent également s'y installer, surtout à Dublin. La société est, alors, divisée en trois communautés : la Protestant Ascendancy anglicane et anglophone, minoritaire mais détentrice des pouvoirs politique et économique, les presbytériens d'Ulster et la majorité catholique et gaélique.