Introduction
La péninsule ibérique, le Royaume Uni, le royaume de France, l'Empire ottoman sont des cadres politiques dans lesquels la question de l'identité s'est posée selon des modalités variables. Le trait commun est celui d'une diversité confessionnelle qu'il faut gérer. La forme la plus radicale de gestion par les autorités civiles, soutenues par les autorités religieuses, est l'élimination ; le modèle qui s'en rapproche le plus est celui de l'Espagne et de la France. Les conditions ne sont pas seulement d'ordre idéologique, mais également d'ordre sociologique : un rapport de force démographique reposant sur une asymétrie. Impossible, pour les anglicans, de procéder de la même manière en Irlande. Et il en va de même pour les Ottomans qui, au sein de leur empire, comptent un tiers puis un quart de non-musulmans. C'est, en revanche, le cas dans le Danemark luthérien ou dans la Turquie républicaine naissante marquée par la guerre contre la Grèce.
Les récits entretenus par les mémoires communautaires sont focalisés sur le départ et les causes qui ont immédiatement précédé celui-ci. Le nouveau statut et la vie quotidienne dans les sociétés d'accueil méritent cependant l'attention des historiens. Dans trois des cas étudiés, l'intégration n'est pas immédiate. La solidarité communautaire, des pratiques sociales spécifiques, l'aspiration au retour sur une « terre promise », le partage d'un destin de victimes sont autant d'éléments qui soudent les migrants. Les réserves de la société d'accueil constituent également un trait général, y compris vis-à-vis de coreligionnaires... suspectés de pratiques hétérodoxes. La force économique des immigrés participe de leur inscription durable dans l'espace d'accueil mais il faut des décennies, des siècles parfois, pour que l'identité de la société englobe la plupart des autres formes d'appartenance. Lorsque des traits durables ont été conservés, une nouvelle conjoncture peut aboutir à une nouvelle migration, c'est le cas des juifs installés Maghreb et des chrétiens venus s'établir en Egypte.
Le cas des Irlandais catholiques est spécifique puisque, dans le champ chronologique étudié, les flux de migrants sont variables et concernent également les protestants. L'installation de ces derniers, entre 1560 et 1720, a d'importantes conséquences. La législation des Penal Laws des années 1690 ressemble à bien des égards à celle que Louis XIV a utilisée contre les huguenots en 1685. La politique de Plantation et l'arrivée massive de presbytériens écossais en Ulster à la fin du XVIIe siècle aboutissent à l'organisation d'une société qui présente nombre de caractéristiques du monde colonial. La Protestant Ascendancy considère comme des sujets de deuxième classe les presbytériens et surtout les catholiques, qui demeurent majoritairement des tenanciers et des agriculteurs pauvres. A partir de la fin du XVIIe siècle, la société s'anglicise peu à peu, mais de façon très inégale. Quelques catholiques aisés se convertissent et apprennent l'anglais ; cependant, la plupart des membres de la gentry catholique restent fidèles à leur religion, sans faire montre d'un front uni.