Une cohabitation sans intégration
Les maronites, comme les autres chrétiens, s'intègrent de manière particulière à la société égyptienne. Ils partagent la langue même si les dialectes restent spécifiques, nombre de coutumes et des traits de mentalités avec les habitants de la société d'accueil. Cependant, ils s'installent en général dans des quartiers particuliers et ne vivent jamais isolés. Ils ont leurs écoles, leurs clubs, leurs confréries. Ils pratiquent l'intermariage au sein de leurs communautés, rarement avec les coptes orthodoxes et presque jamais avec les musulmans qui constituent la grande majorité de la population. Leur mode de vie attire les Egyptiens, au point qu'une partie de l'élite prend l'habitude de passer l'été au Liban dans les régions de Bikfayya, de Aley ou de Bhamdoun. Il n'en reste pas moins que les différences se perpétuent à la deuxième et à la troisième générations.
La question de la nationalité, qui intervient lors que la Grande-Bretagne impose un protectorat de droit en Egypte, est une illustration de la limite du phénomène d'intégration. Par la loi de 1869, tous avaient la nationalité ottomane mais, en 1914, le lien juridique entre le Caire et Istanbul est définitivement rompu. Le traité de Lausanne de 1923 donne la possibilité aux sujets de l'ex-Empire ottoman de choisir la nationalité du pays d'origine ou d'accueil. Dans l'attente de la formulation de la loi égyptienne sur la nationalité, un modus vivendi franco-égyptien est conclu au terme duquel les citoyens syriens et libanais établis en Egypte passent sous la protection diplomatique de la France en vertu de l'article 3 du mandat français en Syrie et au Liban, sans toutefois bénéficier d' « aucune immunité ni privilèges juridictionnels et fiscaux, ni en général, aucune des prérogatives se rattachant au régime capitulaire dont ils ne jouissaient pas auparavant » (article 1). L'arrangement ne permet pas de surmonter les obstacles légaux et politiques mis à l'acquisition de la nationalité, dans un contexte de lutte des Egyptiens pour obtenir une indépendance plénière : lois et amendements entre 1926 et 1929 ; suppression des tribunaux de millets confessionnels ; nationalisation du statut personnel (1955) ; nationalisation de biens mobiliers et immobiliers décidée par le nouveau régime nassérien. A compter de cette date, les départs sont nombreux et le nombre de maronites vivant en Egypte au début du XXIe siècle est de 5 000, soit à peine deux fois plus qu'à la fin du XVIIIe siècle.
Le vaste mouvement migratoire ayant conduit à l'installation de plusieurs dizaines de milliers de Shawam-s à s'installer en Egypte, depuis Damiette et Alexandrie jusqu'au Caire en passant par Tanta et Mansourah ou Ismaïlia, n'a été accompagné ni d'une intégration sociale conduisant à la mixité des populations, ni de l'acquisition d'une citoyenneté intégrale sinon pour une petite minorité. Le rôle de ces émigrés a été décisif au cours d'une période longue de trois quarts de siècle, dans le domaine de l'administration comme dans celui des professions libérales. Sur un plan confessionnel, ces migrants ont été dans leur grande majorité des chrétiens : ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que des familles chiites, sunnites et druzes se sont jointes au mouvement. Sur un plan politique, leur présence a eu de fortes conséquences pour le monde arabe : à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte d'intense bouillonnement visant à permettre de rompre les liens de domination établis par les puissances coloniales et mandataires britannique comme française, les statuts de la Ligue des Etats arabes[1] sont élaborés en Alexandrie et le siège installé au Caire.