L'édit de Nantes
En 1598, l'édit de Nantes mettait un terme à l'une des périodes les plus sombres de l'histoire de France, celle des guerres de religions qui avaient ravagé le Royaume depuis près d'une quarantaine d'années. Formellement, l'édit de Nantes doit être compris comme une paix de religion (au sens où il y a, précisément, des guerres de religion) : c'est l'acte officiel qui marque l'armistice ou le rétablissement de la paix. Les contemporains d'Henri IV parlaient d'ailleurs volontiers de la « paix de Nantes » pour désigner cet édit. L'édit de Nantes n'est pas un édit de tolérance, mais un texte qui tente de rendre possible, malgré l'intolérance, une coexistence entre les parties. Il ne s'agit, en effet, aucunement d'assurer aux diverses religions en présence une quelconque égalité de traitement, et encore moins de promulguer la liberté religieuse, mais bien de garantir un équilibre politiquement viable entre ces deux partis -les catholiques et les protestants- qui ont chacun leurs forces et leurs faiblesses, qu'elles soient politiques, militaires, économiques ou culturelles.
Il n'existe fondamentalement que deux façons de faire la paix entre des adversaires : la première est le triomphe des uns, donc la défaite des autres ; la seconde est l'accommodement des rivalités. Dans les mentalités de la période de l'Ancien Régime, c'est-à-dire d'avant l'instauration du droit individuel de croyance et d'exercice du culte, c'est la première solution qui l'emporte. A telle région, telle religion (cuius regio, eius religio) : telle est la devise qu'à peu près tous admettent alors et qui implique que les sujets partagent la religion de leur prince. C'est la raison pour laquelle, dans le Royaume de France, les juifs ne sont pas considérés comme sujets du roi et pour laquelle, ailleurs en Europe, il est possible à un souverain de venir de tous horizons à condition qu'il relève de la confession dominante et qu'il veille à la pureté doctrinale devant régner parmi ses sujets. Ainsi, la France se trouve soudain face à un problème inédit quand l'héritier du trône, le protestant Henri de Navarre, se trouve par l'automatisme de la loi de dévolution, être le roi de France à la seconde où expire en 1589 son prédécesseur et très lointain cousin Henri III[1] . Henri IV, esprit politique d'une rare intelligence, n'a rien contre les protestants. Mais il comprend qu'il ne pourra pas régner sans accomplir ce qu'il appelle le « saut périlleux », c'est-à-dire sans adhérer à la religion catholique, apostolique et romaine, ce qu'il fait en 1593. Comme il déteste par-dessus tout le fanatisme, il trouve à s'accommoder de dogmes qui diffèrent pour partie de ceux qu'il a appris dans sa jeunesse.
Le premier objectif d'Henri IV est de rétablir la paix à l'intérieur du Royaume. Il tente d'une part d'assurer aux protestants le minimum vital qui leur permettra de déposer les armes en tout bien tout honneur et, d'autre part, de rassurer la majorité catholique du Royaume en limitant les droits de la minorité protestante. L'édit de Nantes est, en effet, un document politique, qui prend en compte la réalité, donc l'inégalité des forces en présence : il rétablit dans l'ensemble du royaume, sans aucune exception, la « religion catholique, apostolique et romaine » (art. 3), ce qui entraîne le rétablissement du culte catholique romain dans toutes les villes, mais il se contente d'autoriser « ceux de la religion prétendue réformée » (ainsi qu'on appelait officiellement les protestants), à croire selon leur foi. Cette liberté de croyance n'implique pas le libre exercice du culte, restreint à un certain nombre de lieux. L'édit exhorte les catholiques à convertir les huguenots « par l'exemple de leur bonne vie »... et regrette en son préambule que Dieu n'ait pas encore permis que tous les sujets du roi ne le célèbrent « en une même forme et religion » -la religion catholique-. Pour compenser cette foncière inégalité, l'édit accorde aux réformés un certain nombre de droits particuliers, notamment celui de détenir quelques places-fortes. En résumé, l'édit de Nantes institue un régime de coexistence entre deux religions qui ne se tolèrent ni l'une ni l'autre, pour la bonne et simple raison qu'elles ont toutes deux la conviction que l'autre est erronée et qu'elle espèrent toutes deux voir un jour le triomphe de la vraie compréhension de Dieu, de la foi, de l'Eglise, du salut... donc le triomphe de leur cause.