Le mysticisme dans l'œuvre de l'écrivaine française Marie Noël (1883-1967)

Une vie exemplaire de femme catholique et célibataire

Marie Rouget, dite Marie Noël, est née en 1883 à Auxerre, une petite ville de Bourgogne, qu'elle n'a jamais quittée jusqu'à sa mort en 1967. Née dans une famille de bourgeoisie cultivée, elle n'a fréquenté le lycée que pendant les dernières années, en raison de sa santé fragile. Sa formation intellectuelle a été assurée par son père, agrégé en philosophie, sceptique religieux, mais qu'elle qualifie de spiritualiste, professeur d'histoire de l'art au lycée d'Auxerre. Sa mère et sa grand-mère se chargent de son éducation religieuse et artistique (Marie Noël est très bonne musicienne). Cette influence maternelle est déterminante puisque l'enfant embrasse la foi catholique et devient très pieuse. Vers ses quinze ans, elle pense entrer au Carmel, mais son caractère indocile l'en détourne. Une dépression nerveuse la mène en 1920 dans une maison de santé. Le psychiatre qui la soigne et découvre ses talents de poète la recommande auprès d'un éditeur. C'est le début d'une carrière littéraire discrète et peu prolixe. Célibataire involontaire, Marie Rouget est le plus souvent happée par les tâches attendues d'une femme célibataire à l'époque : les œuvres caritatives et le soin de la famille. En outre, ses problèmes de santé lui rendent souvent le travail intellectuel impossible.

Ayant particulièrement bien intégré le comportement attendu des femmes – la discrétion, l'humilité, le dévouement aux fonctions domestiques et familiales et la non-intervention dans l'espace public – l'écrivaine s'entoure d'hommes de lettres et d'Église qui la conseillent sur les choix des poèmes à éditer et les maisons d'édition où publier. Ils l'orientent dans son écriture et l'encouragent. Dans ses Notes intimes, Marie Noël raconte comment ses mentors procèdent.

Par ailleurs, toute son œuvre est pétrie de la posture de l'humilité. Dans ses Notes intimes, elle se décrit tantôt comme « une chèvre », une « douce petite vieille fille sage, ni vue, ni connue », « une allumette », « un enfant » (p. 158), « une carmélite manquée » (p. 231). D'une marnière particulièrement habile elle prend soin d'éviter qu'on puisse croire qu'elle aurait une quelconque ambition dans deux domaines qu'elle sait chasses gardées : la littérature, par les écrivains, la religion, par les hommes d'Église. Elle n'est pas écrivain, elle « chante » comme cela lui vient, sans métier ni recherche.

Sa correspondance confirme qu'elle a toujours pris grand soin d'avoir un comportement qui ne soit en rien attentatoire à la morale. Alors qu'elle a près de quarante ans, elle demande l'autorisation de pouvoir lire les ouvrages mis à l'Index[2], Victor Hugo[1] en l'occurrence. Elle ne publie rien non plus qui pourrait être refusé par l'Imprimatur[3].

Marie Noël met beaucoup d'énergie à concilier ses différentes attaches et déterminants sociaux : femme, écrivaine et catholique ; chacune de ces catégories sociales impose des impératifs de comportement plus ou moins explicites. L'écrivain doit être autonome et faire preuve de liberté par rapport à toutes les institutions politiques et religieuses. À l'époque, la femme catholique est, comme le disent explicitement les autorités religieuses, soumise à son mari ou aux hommes de sa famille. L'individu qui se revendique du catholicisme est enjoint de respecter les dogmes prescrits.

  1. Victor Hugo

    Victor Hugo (1802-1885) est un écrivain français très critique à l'égard de l'Église.

  2. Index

    L'Index librorum prohibitorum (Index des livres interdits) est un catalogue instauré à l'issue du Concile de Trente (1545-1563) qui répertorie les ouvrages que les catholiques romains ne sont pas autorisés à lire. Le système a été supprimé en 1966.

  3. Imprimatur

    L'Imprimatur est l'autorisation officielle de publier, donnée par une autorité de l'Église catholique. Elle est décrite dans le droit canonique, et donnée par l'ordinaire du lieu (l'évêque) où le livre est imprimé.

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